Ces textes sur la vue et les couleurs de Schopenhauer, sont bien souvent considérés comme un point de détail dans son œuvre, et ils ne seraient que des signes de son intérêt pour les sciences en général, et pour des problèmes plus spécifiques, détaillés par exemple dans les Parerga et Paralipomena, ou dans La Volonté dans la nature. La vision, et surtout la vision des couleurs, serait un sujet qu'il aurait traité simplement du fait de l'influence sur lui de Goethe, qu'il a rencontré dans les salons de sa mère lorsqu'ils habitaient tous deux à Weimar. Goethe lui a en effet fait étudier son Traité des couleurs, en lui envoyant le manuscrit ainsi que tous les instruments nécessaires à la réalisation des expériences, que Schopenhauer a reproduites en détail. Cependant, si nombreux sont les échos de la théorie de Schopenhauer avec la pensée de Goethe sur le sujet, des points de divergence apparaissent nettement, qui vont conduire à la rupture de leur collaboration. Schopenhauer, pensant continuer l'œuvre de son maître tout en lui rendant hommage, lui a fait parvenir le manuscrit de sa propre théorie en 1815. Mais malgré cela, sa théorie ne trouvera jamais de soutien chez Goethe, qui refuse d'accepter les retouches faites par Schopenhauer, et qui constituent en effet une réorientation très forte de ses travaux.
Mais au-delà de cette curiosité ponctuelle pour un débat passionnant à l'époque, il faut insister sur l'importance de ce problème dans l'ensemble de la théorie schopenhauerienne de la connaissance. En effet, ce dernier perçoit dans cette question un intérêt et un enjeu majeurs, en ce que ce phénomène serait comme une confirmation de la conception kantienne de la connaissance, telle que Schopenhauer s'en revendique. Schopenhauer veut ainsi faire apparaître la façon dont la couleur et sa compréhension attestent de l'immense part du sujet de la connaissance – acquis de la révolution copernicienne exécutée par Kant en théorie de la connaissance – dans toute acquisition de connaissances. Il souligne lui-même cet aspect, à de nombreuses reprises, dans son Traité : « Pourtant, cette dernière [la physiologie] ne sera d'aucune façon inutile au lecteur orienté vers la philosophie, en ce qu'une connaissance plus précise et une conviction plus ferme de la nature entièrement subjective de la couleur contribue à une compréhension mieux assurée de la doctrine kantienne de la nature tout aussi subjective des formes intellectuelles de toutes nos connaissances et fournit ainsi une propédeutique philosophique tout à faite appropriée » . Il s'agit bien de défendre la part subjective dans la connaissance. C'est ce qui mène Schopenhauer à se plonger dans la partie la plus subjective du phénomène coloré : la production, par la rétine, de cette couleur, ce qu'il nomme à juste titre, reprenant là aussi le classement de Goethe que nous étudierons, la « couleur physiologique ». Ainsi s'expliquent en partie son très fort intérêt pour les problèmes de la vision, au-delà de celui, plus spécifique, des couleurs, parmi tant d'autres problèmes des sciences naturelles qu'il a abordés, de façon moins spécifique, et pourquoi il consacre à ce sujet en particulier les développements de tout un traité. Il ne perd jamais de vu la part philosophique de cette question.
Nous tenterons ainsi d'exposer à la fois en quoi Schopenhauer s'inscrit dans le courant ouvert par Goethe, essentiellement par une contestation de la théorie objective newtonienne de la couleur, et en quoi sa théorie révèle des éléments tout à fait nouveaux, pertinents ou non : il s'agira ainsi d'évaluer son aspiration à la constitution d'une véritable théorie des couleurs, là où Goethe, d'après lui, n'a fait que collecter, décrire et organiser des faits.
[...] S'il a souvent tendance à comparer la couleur avec la musique, c'est que la musique est pour lui l'art qui donne le plus véritablement accès à l'essence du monde, c'est l'art le plus significatif, et auquel on peut se fier. Malgré cela, la vue reste pour lui un sens plus parfait, et le sens auditif sert d'analogie et de justification à ses hypothèses. Il fonde cette analogie sur l'identité qu'il croit avoir mise au jour entre le nerf auditif et le nerf visuel, substituables l'un à l'autre. [...]
[...] L'activité qualitative de la rétine devient égale pour la couleur et son complément quand on atteint le rouge, persiste en vert. Toutes les deux, rouge et vert, sont aussi éloignées du noir et du blanc, ce sont donc bien les deux couleurs par excellence, car elles présentent dans sa plus haute perfection le phénomène de la bipartition de l'activité rétinienne A partir de ce stade (rouge- vert) le spectre s'inverse dans l'expérience. Les deux couleurs fondamentales ne sont donc plus le jaune et le bleu comme chez Goethe. [...]
[...] Cela le fait rejeter très nettement la théorie newtonienne, selon laquelle les couleurs seraient des parties du rayon lumineux qui se disperse dans la réfraction Il ramène au contraire les véritables déterminations de la couleur à l'œil lui- même. II Les apports nouveaux de la théorie de Schopenhauer 1. Les modifications apportés à la doctrine goethéenne et kantienne La perception visuelle, un phénomène inscrit dans le temps et dans un sujet Dans ce Traité, Schopenhauer veut présenter une théorie complète des couleurs. Il rappelle bien que la théorie doit partir des couleurs physiologiques, qui sont le centre, et à partir desquelles seulement pourront être étudiées les couleurs chimiques et physiques. [...]
[...] Il ne perd jamais de vu la part philosophique de cette question. Nous tenterons ainsi d'exposer à la fois en quoi Schopenhauer s'inscrit dans le courant ouvert par Goethe, essentiellement par une contestation de la théorie objective newtonienne de la couleur, et en quoi sa théorie révèle des éléments tout à fait nouveaux, pertinents ou non : il s'agira ainsi d'évaluer son aspiration à la constitution d'une véritable théorie des couleurs, là où Goethe, d'après lui, n'a fait que collecter, décrire et organiser des faits. [...]
[...] Goethe rapporte, aussi bien que Newton, des expériences mais leur spécificité est de mettre toujours en jeu le sujet percevant. Par exemple, Goethe raconte qu'un soir de juin 1799 il avait avec un ami observé dans un jardin une fleur de pavot rouge-flamme (un coquelicot). Quand il déplaçait le regard pour ne pas fixer la fleur, il voyait apparaître une image fugitive comme un éclair bleu-vert : c'était la teinte complémentaire du rouge. C'est donc bien, d'après lui, en rapport des faits précis et des expériences incluant celui qui voit que l'on pourra comprendre le phénomène de la couleur. [...]
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