On situe généralement au XIe siècle l'apparition de la technique du koan dans la pratique Zen. Cette adjonction qui comme nous le verrons plus loin est, pour certains, artificielle, répond à un certain nombre de nécessités historiques. Quelle était donc la situation du Zen à cette époque pour qu'une telle systématisation soit rendue inéluctable ?
Il nous faut tout d'abord préciser que le Zen était une forme “aristocratique” du Bouddhisme. Non pas socialement, mais bien plutôt fonctionnellement. En effet, cette école “produisait” très peu d'illuminés. Les maîtres se refusant à théoriser leur enseignement de manière philosophiquement cohérente, la transmission de la vérité de leur expérience à leurs disciples se révélait le plus souvent déroutante. L'illumination des maîtres était ineffable et incommunicable. Elle ne résultait pas de la pensée ou du raisonnement, mais était une expérience dépassant et surpassant l'intellect. Ne le comprenant que trop bien, les maîtres ne tentèrent pas, dans l'ensemble, de décrire leurs expériences en mots. Ils savaient que des explications verbales étaient vaines pour conduire leurs disciples à la réalisation. Il leur fallut donc trouver d'autres moyens.
Les premiers maîtres du Zen chinois étaient en contact intime avec leurs disciples, partageant toutes les phases de leur vie et de leur travail quotidien. Les maîtres profitaient de toutes les occasions pour démontrer le Principe, pour éveiller le questionneur à un entendement plus profond ou pour détruire ses prétentions.
[...] On raconte que Houeï-nêng, le sixième patriarche du Bouddhisme Zen eut une réponse semblable à un moine qui l'interrogeait: Trois jours après que Houeï-nêng se fut enfui des montagnes de la Prune Jaune, la nouvelle ( ) commença à se répandre à travers le monastère et une troupe de moines enflammés d'indignation, dirigés par l'un d'eux qui se nommait Ming, se lança à la poursuite de Houeï-nêng ( Rattrapé alors qu'il franchissait un défilé montagneux, très loin du monastère, il déposa sa robe sur un rocher et dit au moine Ming: “Cette robe symbolise la foi de notre patriarche et ne doit pas être ravie par la force. Cependant, prends- là, si tu la désires.” Ming essaya de la soulever, mais elle était aussi lourde qu'une montagne. Il s'arrêta hésitant et tremblant de crainte sacrée. viens ici, dit-il enfin, pour obtenir la foi et non la robe. Ô moine mon frère, je t'en prie, dissipe mon ignorance Le sixième patriarche lui dit alors: tu viens pour la foi, mets un terme à tous tes désirs frénétiques. [...]
[...] Tout d'abord, ces dix directives que donnait T'ouei-in, maître coréen, à ses disciples concernant l'utilisation de la technique des koans: Ne calculez pas selon votre imagination; ne laissez pas distraire votre attention lorsque le Maître lève les sourcils ou cligne de l'oeil; n'essayez pas de trouver un sens à la façon dont le koan est formulé; n'essayez pas de faire une démonstration sur les mots; ne pensez pas que le sens du koan doit être saisi là où il est proposé comme objet de pensée; ne prenez pas le zen comme un simple état de passivité; ne jugez pas le koan selon la loi dualiste du wou (être) et du mou (non-être); ne prenez pas le koan comme désignant le vide absolu; ne ratiocinez pas sur le koan; ne laissez pas votre esprit dans l'attitude d'attendre que le satori apparaisse. Mais l'exercice du koan ne se limite de loin pas à la salle de méditation. [...]
[...] Le satori est la seule justification et le seul intérêt du Zen. Tout le Zen est orienté vers sa possibilité et sa réalisation. Le satori est en fait un autre nom donné à l'illumination (anutta˝ra- samyak-sambodhi). Dans l'expérience Zen, il est cette explosion libératrice et régénératrice qui résulte de la tension mentale évoquée plus haut. C'est une fois de plus une gageure que d'expliquer ce qu'est le satori, puisqu'en tant que tel il est pure expérience et que, plus encore que tout ce que nous avons pu évoquer jusqu'ici, il est si éloigné de l'expérience quotidienne que nous en sommes réduits à quelques métaphores euphémistiques. [...]
[...] La question posée au maître indique alors que ce point critique est atteint et qu'il est même prêt à être dépassé. Un maître expérimenté savait souvent conduire son disciple jusqu'à la crise et la lui faire franchir avec succès. Mais, pour les raisons que l'on a vues (risques d'essoufflement du Zen dans l'aristocratie, intellectualisme et quiétisme), il fallut aux maîtres trouver une méthode susceptible d'aider à la fois le disciple dans son propre chemin et le Zen de façon plus générale. [...]
[...] Le koan était l'examen. Si l'étudiant avait atteint l'entendement du Principe tel qu'il était compris dans le koan, il répondait d'une façon assez claire pour l'indiquer. Sinon, il devait prendre le koan et lutter avec lui dans la salle de méditation comme au cours de l'accomplissement de ses tâches quotidiennes jusqu'à ce que tous deux ne fassent qu'un. Le maître ne lui fournissait pas d'autre aide ni d'autre instruction. On peut remarquer avec D. T. Suzuki qu'il est un phénomène récurrent dans l'histoire des religions qui voit une école issue d'un grand maître s'essouffler, le génie de celui-ci n'étant pas relayé par ses disciples. [...]
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