Afin de s'échapper du labyrinthe dans lequel le roi Minos l'a enfermé, Dédale, la figure même de l'artisan – pour le célèbre prix Nobel et biologiste français F. Jacob, il incarne au mieux la techné -, assemble des plumes de taille décroissante pour constituer des ailes. Grâce à son intuition et à sa technique, Dédale parvient à se dérober au terrible sort que lui réservait le roi de Crète. Ce mythe antique nous interroge sur la valeur de la technique : n'est-elle qu'utile ?
La technique apparaît, au premier abord, comme un ensemble de moyens, inventés par l'esprit humain, pour produire des objets utiles à l'homme. Cette vision semble corroborée par l'analyse immédiate : par la médiation de la technique, Dédale est parvenu à fuir la mort. En d'autres termes, la technique serait au service du progrès de l'humanité.
[...] De fait, la technique peut aussi être le vecteur de l'humanisation de l'homme. Comme le souligne le mythe de Prométhée, les hommes sont faibles et vulnérables, dans la mesure où son frère Épiméthée qui, littéralement, réfléchit trop tard - a donné tous les dons qu'il possédait (des griffes à la fourrure, en passant par la force, l'agilité et la rapidité) aux animaux. Kant, reprenant le mythe grec, en substituant la nature aux deux titans, dans Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, expose la différence entre les animaux et les hommes. [...]
[...] La nature est subordonnée à l'usage et à l'utilité de la vie humaine. De fait, subordonner la nature à l'utilité humaine permet de reconnaître les défauts et les imperfections de la nature et de chercher à y remédier par des inventions techniques. La technique corrige les défauts naturels. Mais qu'est-ce qui autorise une telle conception de la technique ? Plus encore, comment parvient-il à maîtriser cette technique qui lui confère cette soudaine puissance sur la nature ? C'est que la technique est le propre de l'espèce humaine. [...]
[...] Deuxio, la technique se donne alors comme extrêmement dangereuse pour l'humanité. Il s'avère parfois que l'homme est dépassé par cette technique, qu'il semble à mal de la maîtriser parfaitement. En effet, nous ne comptons plus les désormais fréquentes marées noires responsables de la disparition d'une partie de la faune et de la flore aquatiques ; les déforestations, les désertifications et les extinctions d'espèces sont dorénavant légions, tandis que l'homme influe sur les conditions climatiques ne parle-t-on pas d'un immense réchauffement planétaire, qui pourrait provoquer la fonte des glaces ? [...]
[...] Heidegger exprime cette crainte dans la question de la technique : la technique ne pense pas et elle aveugle l'homme. Certes, le geste technique est en lui- même signe de l'intelligence humaine, et l'outil le plus simple matérialise une pensée. Mais le paradoxe est que le développement même des techniques rend l'activité technique de plus en plus aveugle et opaque, car l'objet technologique moderne, en concentrant en lui un savoir, dépossède de plus en plus celui qui l'utilise de ce savoir : ne sommes-nous pas aujourd'hui entourés de conducteurs qui ne connaissent rien à la mécanique, ou d'utilisateurs assidus d'internet qui méconnaissent totalement l'informatique ? [...]
[...] Nous sommes donc contraints de penser le péril que constitue un mode de pensée uniquement tourné vers la technique. Néanmoins, une telle vision semble réductrice. En effet, considérer la technique purement et simplement comme une menace pour l'humanité conduit à négliger l'une de ses dimensions essentielles à laquelle nous pouvons parvenir là encore avec le mythe de Dédale. En 1859, dans son poème Vingtième siècle, tiré du recueil La légende des siècles, Victor Hugo fait de ce récit mythologique l'allégorie de l'aviation. Où donc s'arrêtera l'homme séditieux ? écrit le poète. [...]
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