Le suicide a longtemps été considéré comme un phénomène relevant du psychisme et déterminé par des causes personnelles, intimes. Il est difficile d'éviter de porter un jugement moral à l'égard du suicide : le volontaire de la mort dresse le procès de la vie en général, mais par là même celui de ses parents, de ses proches, de la société et du système politique. Car comment, en l'absence de motivations passionnelles, pouvoir mettre froidement fin à sa vie, lorsque celle-ci est encore loin de son terme naturel ? Dès lors, le problème qui se pose est celui de savoir si le suicide est un défi à la vie, un acte individuel d'auto délivrance ou bien un constat d'échec pour la société qui n'a pas réussi à garder un être dans la communauté. Par conséquent, dans un premier temps, grâce au suicide, l'homme peut se mettre en conformité avec sa dignité d'être humain, et refuser, au nom de sa liberté, toute forme de déchéance. Cependant, dans un deuxième temps, le suicide est le refus d'une vie jugée aliénante. Il est l'expression de la liberté humaine et la remise en cause des insuffisances et des travers de la société. Dans un dernier temps, la théorie durkheimienne pose les fondements de la sociologie moderne avec Le Suicide. Objectivant les « tendances collectives » au suicide, Durkheim constitue en fait social un phénomène proprement individuel. Selon lui, le taux de suicide ne peut s'expliquer qu'à partir d'une analyse globale de la société; il montre que celui-ci varie en proportion inverse du degré d'intégration des groupes sociaux dont fait partie l'individu.
[...] Paradoxalement, le suicide, bien loin de constituer une négation de la volonté, se révèle une de ses marques d'affirmation la plus intense. Nier la volonté équivaudrait à détester les jouissances égoïstes, liées à l'affirmation de l'individu comme tel. Considérant l'individu sous l'angle des devoirs qu'il a envers la société, on ne peut pas condamner radicalement le suicide. Il peut se manifester en tant qu'acte noble et responsable de celui qui constate en toute lucidité qu'il ne peut plus remplir sa tâche La société grecque est imprégnée de croyances superstitieuses et craint le pouvoir maléfique des suicidés. [...]
[...] Dans ce cas, il devient l'expression de la liberté de l'homme et l'ultime réponse à une société incapable de veiller sur ses citoyens. Incompréhension, solitude, exclusion, désespoir : les causes mêmes du suicide renvoient à la société, à ce qu'elle n'a pas réussi à faire pour garder un être au sein de la communauté. Plus que d'une décision individuelle, l'intention de se donner la mort relève de causes socio- économiques ; elle est réglée dans les rythmes sociaux et les saisons. [...]
[...] Saint Augustin concevait le suicide comme un péché par essence. Les premiers conciles chrétiens décidèrent que l'Église devait renoncer à célébrer les rites funéraires pour ceux qui avaient commis le suicide, qui fut condamné dès le Moyen Âge par l'Église catholique. Le droit médiéval prévoyait généralement la confiscation de la propriété du suicidé et décrétait l'indignité du corps. La position officielle de l'église à l'égard du suicide est formalisée, pour la première fois, au Ve siècle, par ces mots de Saint Augustin : nous disons, nous déclarons et nous confirmons de toute manière que nul ne doit spontanément se donner la mort ( N'ayant trouvé aucun texte chrétien condamnant le suicide, il justifie son interdiction par le cinquième commandement du Messie : tu ne tueras point Il reprend également à grands traits la philosophie de Platon, dominante à son époque, afin d'appuyer cette autre idée : la vie est un don sacré de Dieu, seul Dieu peut donc en disposer. [...]
[...] Les sages grecs furent d'ailleurs nombreux, d'Epicure à Zénon en passant par Hégésias, à se donner la mort. Les philosophes grecs, et en particulier les Stoïciens, lèvent le tabou du suicide jusqu'à en faire une institution noble (même si l'empire romain renouera avec la condamnation du suicide avant même le triomphe du christianisme). De nos jours, selon certains spécialistes, les hommes auraient recours à des méthodes brutales (de pendaison, d'arme à feu, de défenestration ) pour éviter tout échec ou reculade qui les rendraient lâches et méprisables, en quelque sorte donc pour épargner leur virilité. [...]
[...] Dans le suicide altruiste, la pression sociale n'est pas la cause du sacrifice de soi, mais fournit le contexte qui favorise un tel acte. Là où il met tellement haut la personnalité individuelle qu'il n'aperçoit plus aucune fin qui la dépasse, il la respecte chez les autres. Le culte qu'il a pour elle fait qu'il souffre de tout ce qui peut la diminuer même chez ses semblables. Une plus large sympathie pour la souffrance humaine succède aux dévouements fanatiques des temps primitifs. [...]
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