Idées reçues, connaître, méfiance, démarche de l'esprit, philosophie, mobilisation intellectuelle, représentation d'un objet, opinion publique, Socrate, Descartes, dialectique, raisonnement, Platon
"Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre" (Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert, 1913). Cette citation tirée des Maximes de Chamfort et placée en incipit de l'ouvrage de ce dictionnaire d'un genre spécial donne d'emblée des éléments de définition de l'idée reçue. Il semble en effet que de par la nature même de cette dernière, toute connaissance semble nécessiter une méfiance vis-à-vis de ces "idées publiques", et de ces "conventions". Car une idée reçue tient du poncif et du cliché : elle a pour caractéristique d'être largement partagée par la population, et d'arrêter très vite la réflexion en formulant une réponse stéréotypée à une question importante...
C'est donc une ornière de l'esprit. Cependant, si s'acheminer vers la connaissance nécessite de se tenir en garde contre cette doxa, ne nécessite-t-elle pas également une démarche active de la part de l'esprit ? Autrement dit, éviter ces pièges que sont les idées reçues s'avère-t-il suffisant pour "connaître" ? Car "connaître" vient du latin "cognoscere" qui signifie apprendre à connaître et chercher à savoir, toutes deux nécessitant une mise en marche de l'esprit, une démarche volontaire vers le savoir. Par conséquent, suffit-il de se méfier des idées reçues pour connaître ? N'y a-t-il pas une mobilisation intellectuelle supplémentaire qui s'avère nécessaire ?
[...] Ces individus confrontent leurs opinions respectives afin de dépasser la doxa. On peut voir la dialectique à l'œuvre dans les dialogues de Platon : c'est Socrate qui initie l'échange, échange qui suit un cours logique et fait accoucher l'interlocuteur d'une vérité qui ne demandait qu'à être suscitée par le raisonnement logique. S'élever vers les concepts intelligibles stables et immuables au-delà du monde sensible changeant et multiple suppose donc une démarche volontaire et consciente, un certain effort. Cet effort suppose, dans le dialogue platonicien, un dévouement total à la recherche de la vérité : il s'agit de taire la recherche égoïste de la victoire par la rhétorique (recherchée par les sophistes avant tout, qui prospèrent sur les idées reçues et la doxa afin d'asseoir la domination de leur discours) pour contribuer honnêtement à l'aboutissement du dialogue à une connaissance certaine. [...]
[...] (Descartes, Méditations métaphysiques, 1641), écrivait René Descartes dans sa Première méditation S'il y a des connaissances légitimes, on ne doit pas s'attendre à ce qu'elles nous soient transmises de l'extérieure sans quantités d'idées fausses : la connaissance légitime se trouve ainsi polluée de lieux communs, voire totalement occultée par eux. C'est pourquoi le fond de la démarche philosophique consiste à d'abord questionner directement les opinions préconçues afin d'accéder au monde intelligible et à ses concepts purs et stables. Éviter les idées reçues revient donc à dépasser le plan des phénomènes, par définition mouvants et contradictoires, pour chercher du certain, du constant et du stable. [...]
[...] L'individu recherche la connaissance d'une chose en dépassant la doxa, c'est-à-dire l'opinion commune, et ce qu'elle peut apporter d'idées toutes faites : une fois que ces ornières du raisonnement que sont les opinions à la mode sont dépassées, l'intelligence doit remonter aux principes premiers, aux essences immuables. La dialectique, qu'elle consiste à procéder rationnellement par dépassement d'opinions multiples, ou par dialogue interindividuel, est l'outil privilégié pour arriver à une connaissance qui soit certaine. Seulement, n'est-ce pas aussi une idée reçue de croire que l'on peut connaître une chose en soi, c'est-à-dire que l'esprit peut pénétrer l'essence d'une chose pour en saisir l'être ? Car nous-mêmes avons nos propres biais cognitifs et linguistiques, qui nous empêchent de bien appréhender le réel. [...]
[...] Le philosophe est celui qui questionne les opinions communes pour amener l'individu vers une juste connaissance des idées. Dans Le banquet de Platon, Socrate illustre symboliquement la maïeutique en disant que l'âme de chaque homme est enceinte et qu'elle désire mettre bas : le philosophe devient un accoucheur du logos, c'est-à-dire du discours rationnel. Ce discours rationnel est aussi celui de la méthode scientifique : ce cheminement de pensée vise à accéder à une connaissance certaine (scientia : la connaissance), s'appuyant sur une analyse fine de l'objet d'étude. [...]
[...] Si nos biais cognitifs nous entravent dans notre connaissance, ne devrions- nous pas également nous méfier de notre propre langage ? En effet, les linguistes et anthropologues américains Benjamin Lee Whorf et Edward Sapir ont émis l'hypothèse que langage lui-même était un biais : les représentations d'un sujet et la manière dont il voit le monde dépendent des catégories linguistiques. Il y a un rapport d'influence entre le symbolique, le lieu du langage, et le réel : on parle d'hypothèse Sapir- Whorf. [...]
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