Affirmer sa personnalité, c'est s'opposer à tout ce qui n'est pas conforme à elle. Cependant, la différenciation à tout prix ne peut tenir lieu de personnalité. L'être qui n'existe que dans l'opposition à autrui est tout aussi vide que celui qui ne s'oppose à rien parce qu'il n'est rien lui-même. On ne peut devenir soi complètement par référence à autrui. Que faut-il donc ajouter à la simple différenciation des autres pour atteindre son être véritable? Nous essaierons de tracer le chemin résolument personnel par lequel le moi, s'arrachant aux relations qui le lient aux autres, peut entrer en possession de soi. Nous découvrirons que la route qui mène à soi passe encore par autrui. Ce sont donc les relations complexes qui m'unissent aux autres qu'il faut élucider.
[...] D'où le désir de devenir soi. Mais il serait illusoire de penser que nous nous sommes perdus. Certes, nous avions dans l'enfance une personnalité homogène, mais l'apparition de données nouvelles a fait éclater cette unité. L'équilibre que l'on retrouvera ne pourra en aucun cas être un retour à la personnalité de l'enfance. L'adolescence est bien plutôt un moment de crise, c'est-à-dire de transition vers une personnalité nouvelle. Je n'ai donc pas perdu le naturel, car je suis dans une situation nouvelle pour laquelle aucune attitude naturelle n'a encore existé. [...]
[...] Dans la Bible, lorsque Dieu appelle un homme, il lui donne un nom nouveau (Abraham au lieu d'Abram, par exemple). Le nom, dans la pensée hébraïque, est le symbole de la personne tout entière. Être appelé de manière unique par l'universel, c'est donc trouver son identité, devenir soi. Si être soi-même, c'est répondre à sa vocation, il est possible de restituer à autrui un rôle dans la réalisation de soi. On soulignera d'abord qu'autrui est indispensable dans la découverte de sa propre vocation. [...]
[...] La convention perd sa rigidité pour s'intégrer à sa personnalité. Là où le snob a une attitude apprêtée parce qu'il imite un modèle qui lui demeure extérieur, l'homme qui a de la classe loin de tout ritualisme, ressaisit le code dans son esprit au point qu'il ne peut plus être distingué de lui. L'impression de naturel, d'une personnalité harmonieuse qu'il laisse, est en vérité le fruit d'une lente incorporation d'éléments extérieurs. Être soi-même, en quelque domaine que ce soit, revient à assimiler les influences au point que l'unité qui se constitue par intégration des éléments extérieurs transcende ces éléments. [...]
[...] Cependant, il ne suffit pas d'être sincère pour être libre. Un esprit libre est plutôt un esprit libéré. C'est en effet jusque dans mes pensées personnelles, dans mes goûts subjectifs que je suis aliéné par le regard de l'autre. Pour devenir soi-même, il faut donc se détacher de tout ce qui en soi est factice, lié à la vie en société. L'opposition à autrui prend ici un sens nouveau : il ne s'agit plus de marquer sa différence, mais de dépasser l'opposition de l'original et du conformiste, par une libération à l'égard de tout apport extérieur. [...]
[...] La rencontre de telles personnes nous réjouit, leur maladresse même nous étant sympathique, car elles représentent une liberté à laquelle nous aspirons comme le développe Kant dans Anthropologie du point de vue pragmatique. Cette forme du retour à la nature paraît cependant illusoire. La question ne se pose que pour qui a perdu sa spontanéité. Or, une spontanéité retrouvée n'est plus spontanée. Le naturel que l'on retrouve n'est pas identique à celui que l'on a perdu : il n'est pas une appartenance à soi qui précède toute perte de soi, mais une réappropriation de soi. [...]
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