La philosophie, pour les Anciens, est moins doctrine systématique que pratique et choix de vie, option existentielle. Cette pratique philosophique s'inscrit donc, dans le cas du philosophe stoïcien, dans l'application d'exercices spirituels et éthiques qui ont pour finalité de sculpter le sujet moral. Dans cette perspective, le stoïcien se situe dans la visée d'un renouvellement de ses représentations qui conditionnera les voies nouvelles de son existence. Ce renouvellement passe, selon l'expression de P. Hadot, par la construction d'une "citadelle intérieure", forgée par les disciplines stoïciennes de la représentation adéquate, de l'assentiment et du désir. Pourtant, alors que la pensée épicurienne, dans une même logique de renouvellement intérieur et individuel, tendait à exclure le sujet de la vie politique, car c'était semer le trouble et l'inquiétude dans l'âme que de s'occuper des affaires publiques et qu'il semblait meilleur, dans le cercle restreint de l'amitié de protéger la paix intérieure, la pensée stoïcienne au contraire exige du citoyen qu'il participe à la vie de la société, qu'il assume des responsabilités et soit politiquement actif. Comment les stoïciens, prônant une éthique du renouvellement intérieur, parviennent-ils par ailleurs sans contradiction à se consacrer au monde politique, à faire l'apologie d'une éthique héroïque? En quoi peut-on dire que la construction d'une "citadelle intérieure" participe de ce double mouvement, à la fois centré sur le moi et dirigé vers le monde ? Nous verrons que si la pensée stoïcienne est fondée sur une éthique individuelle qui construit par le pouvoir de la pensée et de la volonté une "citadelle intérieure" chez le sujet moral, le stoïcien, parce que son éthique est fondée sur sa physique et qu'il pense la cohérence du Tout dans lequel il est pleinement intégré, ne peut que pratiquer une discipline de l'action qui, par un engagement politique, social, le lie entièrement au monde.
[...] IX, la discipline de l'action stoïcienne trouve naturellement son acmé dans l'amour du prochain. En effet, si le sujet s'est élevé au niveau de la Raison, il a découvert la cohérence et l'interpénétration du Tout et a alors conscience de son appartenance à l'ensemble des êtres raisonnables : en tant que partie du Tout divin il est possible de le considérer comme étant autant les autres que lui-même. Ainsi, puisque le Tout met à tout moment le sujet en présence de réalités avec lesquelles il est fondamentalement lié, son attitude essentielle pourra peut-être en dernier lieu être pensée comme l'exercice d'une discipline de l'amour. [...]
[...] Ainsi le cosmos n'est-il qu'un seul être vivant, doté d'une conscience et d'une puissance de volonté uniques monde est un vivant unique, ayant une seule substance et une seule âme, ( . ) tout se rapporte à une conscience unique qui est la sienne"(P. IV, 40). En conséquence, parce que "toutes les choses sont en quelque sorte entrelacées entre elles"(P. VI, chaque instant de la vie du sujet, chaque événement contient en quelque sorte tout le mouvement du cosmos : cela est en adéquation avec la représentation stoïcienne de la réalité comme combinaison totale et imbrication de toutes choses dans toutes choses. [...]
[...] Cet altruisme, nous l'avons vu, est fondé sur la prise de conscience par le sujet qu'il n'est qu'une partie du Tout, que sa raison dépend du Tout et qu'elle tend à y retourner. La discipline de l'action, se confondant par ailleurs dans la pensée stoïcienne avec la notion d'altruisme, parce qu'il s'agit d'agir, non plus d'accepter l'ordre du Destin, d'engager sa responsabilité et ses moyens et non plus de consentir, a pour objet la manière dont la causalité particulière du sujet s'insère dans la causalité de l'univers. [...]
[...] Une histoire de la philosophie, Paris, Gallimard SCHUHL (dir.), Les Stoïciens, Paris, Gallimard (trad. E. Bréhier). Sauf indication contraire, les textes cités proviennent de cette édition. [...]
[...] L'unique valeur absolue est donc bien l'intention morale. En ce sens, le sujet encitadellé, même aux prises avec la discipline de l'action, ne peut se trouver en danger ;si les résultats extérieurs de ses actions peuvent échouer, cela ne le touche en rien puisque cela ne dépend pas de lui et lui est indifférent, mais, par ailleurs, aucune force ne peut empêcher le sujet d'achever pleinement une intention bonne et c'est ainsi que le bien moral est sauvegardé. C'est en cela que Sénèque affirme dans son traité Des Bienfaits que le sage réussit même s'il échoue : non seulement il dispose toujours dans l'échec du seul bien véritable qu'est le bien moral mais encore, il peut trouver dans l'échec extérieur de l'action l'occasion de pratiquer une autre grande vertu, celle du consentement à l'action de la Nature universelle qui a voulu l'échec de cette action particulière. [...]
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