Au mouvement d'exaltation du savoir et à l'élan vers la connaissance que connaît le XVIe siècle et qu'ont notamment représenté Ficin ou Pic de la Mirandole et son ouvrage De toutes choses qui puissent être sues, répond, sous l'influence de Rabelais et de Montaigne, un scepticisme entre autres illustré par le Quod nihil scitur de Sanchez. C'est contre la thèse selon laquelle il est impossible de fonder un savoir véritable que Descartes affirme que «tout savoir est hypothético-déductif » et pose ainsi la possibilité de connaître. La conception de l'idée claire et distincte mise à jour par Descartes, commune à tous les cartésiens, à Malebranche et à Leibniz, devient le roc et l'argile sur lesquels repose la connaissance.
C'est précisément la thématique classique fort débattue de l'erreur et de la vérité étudiée via la méthode cartésienne que Spinoza réexamine selon un « chemin » différent, celui-là même que propose son Traité de la réforme de l'entendement (1657-1659) et sa réflexion sur le pouvoir de connaître et de voir avec les yeux de l'intelligence. Son programme épistémologique, orienté vers la recherche du bien suprême et passant, ainsi que l'indique le titre De intellectus emendatione, par une purge, une correction de l'entendement mal formé nous invite à repenser le pouvoir de l'entendement, cette faculté à l'origine même de la première certitude (« Je suis, j'existe est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. », explique Descartes dans la Méditation métaphysique seconde). C'est précisément l'objectif que poursuit notre extrait (l.1-43&39) qui récuse la position philosophique traditionnelle méfiante à l'égard de l'imagination, « cette puissance trompeuse » condamnée par Pascal à travers l'affirmation audacieuse, quelques années après la révolution cartésienne, que redouter les fictions est infondé et inutile. Telle est en effet la thèse développée dans de passage extrait de la première partie de «la méthode » opérant la distinction entre l'idée vraie et les trois types d'idée que sont les idées fictives (&33-39), les idées fausses (&40-42) et les idées douteuse(&43).
[...] En effet, si l'Esprit ne forme rien lorsqu'il dit que des hommes sont subitement changés en bêtes c'est parce que cela est dit d'une façon tout à fait générale (l.5). Voilà le premier argument de Spinoza en faveur de l'impossible confusion du vrai et de la fiction. Une seconde hypothèse achève de la développer: s'il avait une liaison de nature logique entre les hommes et les bêtes sur le modèle du sujet et du prédicat liés par la copule que constitue le verbe être alors il serait aisé de comprendre les modalités et l'origine de cette métamorphose. [...]
[...] Bien connaître les singuliers, autrement dit les connaître parfaitement, permet de se garder des fictions. La démarche de Spinoza semble ici reprendre celle de Descartes explicitée dans la conclusion de la Méditation Quatrième où ce dernier affirme la possibilité de parvenir à la connaissance de la vérité [ ] si j'arrête suffisamment mon attention sur toutes les choses que je concevrai parfaitement, et si je les sépare des autres que je ne comprends qu'avec confusion et obscurité Conséquemment aux deux premiers principes, la fiction ne peut pas être simple la fiction dont il a été dit précédemment qu'elle n'est pas claire et distincte, naît de ce que nous laissons se former un amalgame impossible à partir des idées confuses : elle naît de la combinaison des diverses idées confuses qui se rapportent à des choses et à des actions diverses existant dans la Nature .Sans penser la validité de ces idées confuses, l'esprit tend à les mélanger, les associer confusément. [...]
[...] La méthode spinoziste en tant qu'elle doit montrer comment l'esprit doit être dirigé s'appuie sur une forme d'optimisme anthropologique: si tous les hommes ne sont pas rationnels, ils sont en revanche tous doués de raison, raison dont Spinoza affirme le caractère perfectible; l'entendement est un instrument que l'on peut améliorer et qui a le pouvoir de pousser toujours plus loin sa recherche; ce pouvoir intellectuel est ici exprimé à travers la capacité de l'entendement à corriger et dominer la fiction qui est aussi la capacité de l'entendement à se corriger lui-même à l‘aide de la méthode immanente au processus même de la connaissance. De ce postulat découle une réflexion épistémologique relativement confiante au sein de laquelle sont affirmées la certitude et la facilité de la connaissance. L'exercice de la raison semble permettre d'accéder à une connaissance fiable qui est plus puissante que l'imagination qu'elle peut analyser et neutraliser. [...]
[...] Le dernier temps du texte présente les apports de la méthode qui sont autant de preuves de la claire distinction de la fiction et des idées vraies. Notre texte l.1-43) s'inscrit dans le prolongement de développements consacrés à l'investigation des différents types de fictions. Après avoir posé que l'idée forgée ou la fiction est une construction de l'esprit issue défaut de connaissance, qu'elle ne correspond à rien de réel et qu'elle est le fruit de la possibilité et la contingence, Spinoza procède à la démonstration de la faiblesse de la fiction via la présentation des moyens que possède l'entendement pour ne pas se laisser abuser par une ‘fausse idée vraie'. [...]
[...] VI Un, Vrai, Bien de la première des Pensées Métaphysiques) Cette extrapolation du singulier au général s'accompagne d'une autre erreur méthodologique; l'esprit ne distingue pas le connu de l'inconnu L'esprit ne procède pas à l'examen des différentes parties qui composent une chose connue en général; nous retrouvons ici l'idée de généralité porteuse de fausseté critiquée au début de l'extrait et déjà évoquée Plus généralement l'existence est conçue, plus aussi elle est conçue confusément et plus aisément elle peut être attribuée par fiction à toute chose L'absence de distinction entre les éléments contenus dans l'objet constitue une faille dans laquelle s'engouffre la fiction: la confusion des éléments peut pousser l'esprit à former de mauvaises combinaisons de ces éléments et donc à forger des fictions. La troisième et dernière partie du texte (l.20-43) vise à montrer les conséquences logiques du raisonnement mené dans les deux premières parties du texte. Ce qu'il faut en déduire, c'est d'abord qu'est nécessairement claire et distincte toute idée qui se rapporte à une chose très simple puisque la connaissance de cette chose dans son entièreté est possible. [...]
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