Le terme de souveraineté renvoie généralement à des expressions comme "le peuple souverain", c'est à dire en qui réside le principe du pouvoir, ou encore un "Etat souverain" c'est à dire un Etat qui ne dépend d'aucun autre Etat, ou bien encore de" jugement souverain" dans le domaine judiciaire, c'est à dire d'une sentence sans appel possible. En regroupant ces différents emplois, il se dégage de la notion de souveraineté plusieurs idées. L'idée de pouvoir tout d'abord, mais aussi une idée d'indépendance et de suprématie. S'intéresser à la souveraineté du jugement suppose donc de se demander si ces trois notions ne forment pas un paradoxe avec la notion de jugement à laquelle on les attribue. Comment définir le jugement dont les emplois semblent à première vue extrêmement divers ; en effet on peut aussi bien parler de jugement dans le domaine judiciaire, que dans le domaine esthétique ou le domaine du simple bon sens. Tout d'abord, le jugement apparaît comme une capacité humaine que l'on trouve présente chez chaque individu, au moins à l'état de virtualité. Toute personne est susceptible de pratiquer et d'exercer son jugement. Cependant, en accolant la notion de souveraineté à celle de jugement, la première idée porte à considérer un jugement personnel à valeur subjective dans le domaine esthétique ("c'est beau" ou "c'est laid"). Prenons donc le cas du jugement esthétique : face à une œuvre d'art, je peux formuler cet énoncé, "c'est laid", c'est à dire juger que cette œuvre ne répond pas à ce que je considère comme appartenant au domaine de la beauté. Je ne peux changer d'avis sous l'influence d'une autre personne qui, elle, aurait énoncé un jugement différent à propos de la même œuvre et tenterait de me convaincre de sa beauté. Si je dois changer d'avis, ce changement ne pourra venir que de moi-même et résulter d'une évolution personnelle qui m'amènera, librement, à modifier mon jugement initial. Il semble par conséquent impossible d'imposer un jugement de goût à un individu : ce type de jugement ne pourrait être qu'individuel. En effet il ne s'agit pas de ce qu'on appelle un jugement de l'entendement ou de la raison : ce jugement ne concerne pas la logique mais le sentiment, il exprime un état du sujet, face, en l'occurrence, à une œuvre d'art. Autrement dit, il s'agit d'un jugement subjectif. De plus, il semble que ce jugement ne concerne qu'un objet particulier, à un moment donné. Reconnaître la beauté d'une œuvre ne concerne évidemment que cette œuvre, mais ne renvoie aussi qu'à l'état intérieur actuel du sujet qui le reconnaît (le simple fait d'être de bonne ou de mauvaise humeur peut en effet faire varier un avis sur la même œuvre au cours du temps). Par conséquent, bien qu'une première idée nous porte à penser au jugement esthétique, lorsqu'il s'agit de s'interroger sur le caractère souverain du jugement, il ne renvoie en réalité qu'à une forme de jugement extrêmement particulière ; le jugement esthétique ne concerne en effet qu'un individu en particulier, énonçant à un moment donné, un jugement à propos d'un objet en particulier. Or la notion de jugement possède une extension bien plus large que le simple domaine esthétique : il est possible bien sûr de parler de jugement esthétique, mais aussi de jugement moral, de jugement judiciaire ou de jugement logique. Il s'agit donc avant toute chose de trouver le dénominateur commun entre toutes ces formes de jugement afin de parvenir à en définir la notion. Prenons donc maintenant le cas du jugement judiciaire. Un délit représente une transgression de la loi ; il a donc, en principe, un caractère exceptionnel. Le procès qui suit, aboutit à énoncer une peine par rapport à la catégorie légale à laquelle appartient le délit jugé. Il s'agit donc, dans le processus du jugement, de ranger le délit exceptionnel, sous une catégorie donnée, afin de permettre l'application de la loi. L'exceptionnel est alors déterminé, classé et la loi reprend ses droits : en somme le crime perd tout caractère exceptionnel une fois jugé, classé et puni. Le procès, qui précède la sentence joue ainsi le rôle de médiateur entre le particulier, c'est à dire le délit, et le général, c'est à dire la loi. Au niveau de la logique, on retrouve cette distinction sous les termes de sujet (le particulier) et de prédicat (le général), la médiation entre les deux étant alors nommée copule. Tout jugement logique fait ainsi intervenir un sujet particulier que l'on rattache à un prédicat donné, par l'intermédiaire d'une copule. La notion de jugement consiste donc à lire le particulier à la lumière d'une généralité, à soumettre ce particulier à une notion donnée, par l'intermédiaire du jugement.
[...] Il y a donc de réels enjeux de pouvoir au fait de juger. En politique celui qui détient le pouvoir est, pour Hobbes, celui auquel tous les citoyens ont soumis leur propre jugement. Dans le Léviathan (1651), au chapitre XVII de la deuxième partie, Hobbes montre que "la seule façon d'ériger un pouvoir commun réellement fort " est que l'ensemble des citoyens confie "tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme". Celui-ci possède alors la capacité de "réduire toutes leurs volontés en une seule volonté". [...]
[...] Ce problème se pose aussi pour un jugement moral. Un jugement de valeur ("c'est bien", "c'est mal") s'exerce par rapport à des normes transcendantes du Bien et du Mal. Pour juger, il faut examiner le cas particulier en fonction de lois données antérieurement : le jugement part ainsi des lois et y revient sans paraître le moins du monde indépendant. Le délit est interprété comme délit parce que des lois existent et ont été transgressées (sans loi, pas de délit), et d'autre part, le délit, après le jugement se trouve soumis aux lois : les lois encadrent et conditionnent l'exercice du jugement. [...]
[...] Ce jugement se répercute alors sur ma perception : je les vois de tailles différentes. Et, une fois ceci décidé, cette affirmation prend pour moi le statut de vérité. L'individu évolue ainsi dans un système centré et refermé sur lui-même, d'où l'emploi quasi omniprésent de la première personne du singulier dans tout le texte. Pourtant on peut facilement objecter à cette vision du jugement, que l'homme, en ne se référant qu'à lui-même, ne fait que s'accommoder de ses capacités, comme par défaut ("l'esprit humain se décide malgré lui"). [...]
[...] Ou plutôt, c'est l'abandon même de ce droit à un homme, qui fait de lui, un souverain. Hobbes insiste sur l'importance d'un tel abandon : "en vertu de cette autorité qu'il a reçue de chaque individu de la République, l'emploi lui est conféré d'un tel pouvoir et d'une telle force" qu'il peut "modeler les volontés de tous", "on dit qu'il possède le pouvoir souverain". Ainsi, le principe du pouvoir repose dans la faculté de juger, c'est à dire de déterminer ses actes, de se gouverner soi-même. [...]
[...] Les règles permettraient alors l'exercice du pouvoir du jugement. Il s'agit donc de dépasser les règles, de ne les prendre que comme des instruments, des moyens du jugement et non des entraves, de façon à les dominer pour ne pas en être dépendant. Pour comprendre ce processus, prenons l'exemple du jugement logique. Ce dernier peut en effet apparaître comme soumis à des règles extrêmement précises. Kant dégage dans le jugement une méthode et des règles dans ses Prolégomènes à toute Métaphysique future. [...]
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