Dans le livre I de la République, Glaucon raconte à Socrate l'histoire d'un berger, Gygès, qui bafoua les règles humaines parce qu'il s'était affranchi de toute punition. Alors qu'il emmenait paître ses bêtes, Gygès trouva un anneau magique, dont il découvrit plus tard l'étrange pouvoir: lorsqu'il le portait, Gygès pouvait se rendre invisible aux hommes et à leur justice. Il s'empressa alors de profiter de son impunité pour séduire la Reine et tuer le Roi auquel il vola finalement le trône.
Sommes-nous tous, à l'instar de Gygès, justes par la seule contrainte ? L'obéissance aux lois des hommes et de la conscience résulte-t-elle uniquement d'un calcul de prudence ? Ces questions portent en fait sur la nature de l'homme: est-il cet être naturellement bon et juste décrit par Rousseau, ou le « loup pour l'homme » de Hobbes, qui n'obéit qu'à la contrainte de la force ? « Juste » ici, peut avoir signifié ce qui est défini par la société comme légal, le jus scriptum, mais aussi le juste tel que le perçoivent notre cœur et notre raison. Nous passerons souvent d'un sens à l'autre au cours de notre progression. D'autre part, le problème philosophique porte moins sur l'effet « sommes-nous justes » que sur ses causes.
Celles-ci sont-elles naturelles ? L'homme dispose-t-il de naissance d'un sens de la justice, d'une bonté, d'une conscience morale ? Au contraire, son obéissance à la justice n'est-elle que soumission à une contrainte ? Se peut-il qu'il n'y cède que par intérêt ? A moins enfin que l'homme ne se soumette à la justice par un effort suprême de la raison.
[...] Comment se peut-il que des êtres dépourvus de toute capacité personnelle à déceler l'injuste se fédèrent dans le combat contre une loi extérieure ? Comment une part des citoyens français s'est-elle, sous l'occupation, opposée au légal incarné, au jus scriptum du gouvernement de Vichy ? C'est qu'en l'homme existe un sens inné de la justice dirait Rousseau, et que le droit positif doit être enfin le reflet du droit naturel. Ces lois naturelles, en tant que telles, ne sont elles cependant pas une contrainte intérieure ? Sont-elles infaillibles ? [...]
[...] Les autres s'imposent à nous au cours de notre construction sociale : surmoi, remord, conscience morale. Ces contraintes, subies, sont nécessaires à la permanence de la justice, en sont le ciment, mais ne sauraient la constituer. Le fondement de l'acte juste est tout autre, il est l'expression ultime de la raison, le dépassement des égoïsmes de chacun dans l'intérêt de tous. Il peut être choisi par la raison, et vécu comme une obligation morale plus que comme une contrainte extérieure. [...]
[...] Pour certains penseurs, l'homme est naturellement bon. Rousseau avance ainsi qu'un individu vierge de toute éducation corruptrice tend à exécuter deux lois dites naturelles. La première est l'instinct de conservation, la seconde, la pitié. L'homme qui n'est pas perverti par la société, une fois sa conservation assurée, cherchera à sortir son prochain de la souffrance ou au moins à ne pas lui infliger. Les lois de Rousseau ne sont pas absurdes d'un point de vue scientifique : le groupe dont les individus se soutiennent mutuellement s'imposera sur celui qui est déchiré par les conflits égoïstes. [...]
[...] Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste écrivit Pascal ; espérons que nous saurons éduquer les nôtres à discerner le juste et à le soutenir, pour que jamais plus ils n'aient à constater une telle dérive. Bibliographie Notions de philosophie, Sous la direction de Denis Kambouchner, collection Folio Essais, "Ethique et morale", Laurent Jaffro Objectif Bac, L'épreuve de philosophie, Hachette, chapitre sur le devoir et le bonheur. [...]
[...] Se peut-il qu'il n'y cède que par intérêt ? A moins enfin que l'homme ne se soumette à la justice par un effort suprême de la raison. L'homme a de tout temps cherché à distinguer ce qui procédait du bien et ce qui était l'expression du mal. Or il est rare qu'un homme agisse avec le mal pour seule visée, peut-être parce que le mal est par essence ce que l'on doit éviter. L'homme juste l'est il alors par nature, fruit d'une tendance innée à rechercher le bien ? [...]
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