« Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime » ... Parole évangélique qui ne cesse de fasciner l'homme, brandissant fermement le principe idéal d'une éthique pour le tout autre. En effet, après l'indifférence massive dont la plupart des peuples ont fait preuve au moment même de l'extermination de millions de personnes, il semblerait que le sacrifice pour autrui soit une obligation, même plus, une nécessité morale (...)
[...] En outre, ce même don de soi n'implique-t-il pas un désir de toute puissance, un refus de ses limites ? Car, en me donnant à l'autre, en le plaçant comme victime, n'ais-je pas des prétentions totalitaires sur sa personne ? Si le don de soi semble être le seul moyen de fonder une éthique de la responsabilité sur autrui, il ne peut pourtant être érigé en absolu, en loi morale. Seule une éthique du don invitant à la réciprocité semblerait alors achever pleinement la relation à l'autre. [...]
[...] Nous sommes des êtres en devenir, et je me reçois d'autrui autant que je lui donne. Gaston Bachelard écrit : Le moi s'éveille par la grâce du toi. Ainsi, accepter de recevoir de l'autre, c'est le considérer comme une personne à part entière qui m'aide à accéder à ce que je suis. Nous sommes des êtres inachevés et nous nous épanouissons tant par le reçu que par le don. Par ailleurs, si le don total de soi semble aboutir à une impasse, il doit être médiatisé par des gestes symboliques, éveillant ainsi le désir de l'autre. [...]
[...] Enfin, l'autre est une fin en soi à laquelle je ne peux me substituer. Répondre pour l'autre c'est l'empêcher d'exprimer ce qu'il est, accepter de lui donner et de recevoir de lui, c'est grandir avec lui. Je suis ce que je suis et ce qui me pousse à en sortir, aimer vraiment l'autre, c'est l'aider à sortir de lui-même pour devenir pleinement ce qu'il est. Le rapport à l'être, en tant que mouvement faisant advenir l'homme, implique l'altérité. La rencontre avec l'autre, comme partage et passage, ouvre alors sur d'autres libertés d'être. [...]
[...] En effet, en cherchant à se donner à l'autre, l'on cherche à répondre pour l'autre, et le plus souvent on le capture dans ce don. Qui suis-je pour combler les manques de mon prochain ? Répondre de tout c'est être le tout qui répond. Cette phrase de Daniel Sibony montre bien que la folle logique pour le tout autre m'oblige à devenir Dieu. Je dois tout à autrui, il ne me doit rien, et ainsi je le possède et deviens tout puissant. Par ailleurs, le don de soi peut témoigner d'une incapacité à assumer sa propre identité. [...]
[...] Le sacrifice rend toute réciprocité impossible, puisque l'autre n'est vu que par la médiation de sa souffrance, et que je ne cherche pas à recevoir ce qu'il est. En répondant à sa place, je refuse d'en savoir plus sur l'autre qui ne peut plus alors se révéler en tant qu'être. Un don de soi trop radical fait donc obstacle à toute forme de rencontre, et peut ainsi déboucher sur une certaine violence. Ainsi, si à première vue le don de soi semble être le seul moyen de fonder une éthique du rapport à l'autre, ses ambiguïtés ne permettent pas de l'ériger en valeur absolue. [...]
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