Dans le contexte actuel de la crise financière, le président Nicolas Sarkozy, qui assure cette année la présidence du Conseil de l'Union européenne, a dénoncé la trop grande libéralité du système économique et financier international et a affirmé qu'il était temps de "moraliser le capitalisme." Bien qu'il prononce ces paroles au nom d'une organisation interétatique et internationale, la crise touche tous les Etats, toutes les sociétés.
Ce que Nicolas Sarkozy appelle l'immoralité du capitalisme porte atteinte à la dignité des personnes qui, par exemple, aux Etats-Unis, ont été contraints de quitter leurs logements sans aucune perspective d'avenir. L'idée de la dignité de l'homme que les sociétés doivent postuler et chercher à préserver est clairement exprimée dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme proclamée en 1948 par les Nations Unies, et ce dans le premier article : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits." Il est remarquable que le concept de dignité n'était pas présent dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : pourquoi, après la Révolution industrielle du XIXème siècle, a-t-on ajouté ce terme dans ce qui apparaît de fondamental pour toute société humaine et qu'est-ce que cela implique ?
L'égalité devant les droits et la dignité semble donc inséparable du concept de la justice, de la légitimité, de la morale. Mais se pose alors un problème : s'il serait souhaitable de "moraliser le capitalisme", il est sous-entendu que les sociétés démocratiques - considérées communément légitimes - ne préservent pas intégralement les droits et la dignité de tous, et ainsi recèlent des inégalités entre leurs citoyens sur le plan économique, social, voire moral, si ce n'est aussi sur le plan politique et juridique. Qu'est-ce qui peut ainsi garantir la légitimité d'une société dont l'égalité n'est pas parfaite, et pourrait ne jamais l'être ? (...)
[...] Pour finir, il est indispensable de traiter un dernier point auquel nous avons précédemment fait allusion dans notre étude le danger despotique que Tocqueville a défini, à savoir le danger d'une dépolitisation de l'individu qui, dans l'égalité qui lui semble acquise, renonce à ses libertés politiques, à son statut d'homme et s'en retourne dans ses fers, d'où la nécessité d'une tension et d'une réaffirmation constante de ses droits, de ses devoirs, de sa liberté et de son égalité, c'est-à-dire la nécessité de renouveler constamment le contrat social. Dans la recherche de l'égalité et du bien-être, le citoyen peut choisir d'abandonner sa liberté politique et se refermer sur lui-même ou un petit cercle d'individus. Si l'Autre a les mêmes droits que moi et qu'on peut s'occuper des affaires, pourquoi alors participer ? Voilà ce qu'un citoyen d'une société égalitaire pourrait arriver à se dire, comme son égalité peut sembler acquise de manière définitive. Mais il est impossible de penser cela de façon sûre, et c'est même immoral. [...]
[...] Cette égalité morale et légitime n'est, ajoute-t-il, qu'apparente et illusoire sous les mauvais gouvernements et revient à ce que nous avons exposé précédemment, à savoir au contrat comme un leurre, car, comme il le dit, l'état social n'est avantageux aux hommes qu'autant qu'ils ont tous quelque chose et qu'aucun d'eux n'a rien de trop. Rousseau, dans tout son réalisme, reconnaît aussi au onzième chapitre du deuxième livre du Contrat social que l'égalité peut peut-être ne pas exister dans la pratique, mais, renchérit-il, s'ensuit-il qu'il ne faille pas au moins régler [l'abus] ? [...]
[...] Cette conscience collective peut se retrouver dans l'acception de la hiérarchie sociale, dont nous avons parlé précédemment à propos du travail comme instrument de l'égalisation sociale, du fait de la mobilité sociale rendue possible. Les situations sociales peuvent bien sûr être inégalitaires, mais elles ne sont jamais attachées aux individus. Ce qui semble compter avant tout, c'est l'acceptation, le consentement : l'opinion ; les citoyens doivent se sentir et se représenter égaux entre eux, égaux comme contractants, bien que des différences socio-économiques existent. [...]
[...] Cependant, quelles sont les réalités de ces deux notions ? Il semble que ces principes sont légitimes et même légitimant, qu'ils permettent de mettre en pratique le principe d'égalité, de donner à tous les moyens de réussir, de pouvoir changer de statut social. Mais ne sont-elles pas, sous un certain angle, un nouvel instrument de domination aux mains des plus puissants, et ne reviendrait-on pas, sous cette apparente légitimité, à un pacte social qui ne serait qu'un leurre ? Bien que les mêmes chances soient offertes à tous, et que chacun puisse personnellement, selon son mérite, accéder à des fonctions plus hautes et se démarquer socialement, il est clair que dans les faits le système n'est pas parfait et que les enfants nés dans une famille riche ont plus de chance de réussir. [...]
[...] John Rawls admet qu'il puisse y avoir des restrictions de libertés que si la restriction a pour but d'améliorer le système de libertés de base égale pour tous. En effet, Rawls donne l'exemple de la limitation de la liberté de penser, ou plutôt d'exprimer ses pensées, qui, sans être limitée, pourraient porter atteinte à l'ordre public. Ainsi, par cette limitation, le plus grand nombre des citoyens n'est pas troublé par certains intolérants. Mais si les libertés sont limitées, cela ne peut venir que de la volonté générale. [...]
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