En effet, le silence, outil premier de communication est ce qui donne du sens aux choses, aux relations humaines. Mais il arrive parfois que la parole s'abstienne, se taise. Faut-il en déduire que le sens disparaît ou que le silence possède lui aussi une capacité d'exprimer, de dire, de signifier ? (...)
[...] L'indicible est un mythe, une fausse richesse. Il ne dit rien d'autre que sa propre incapacité à dire. Cependant, nous connaissons tous ces moments de certitude sensible ces moments qui se situent en deçà du langage; ces moments où la vérité» se donne à nous comme une révélation. En ces instants où nous faisons l'économie des tâtonnements inquiets de la raison, tout notre être adhère à cette conviction façonnée dans le silence des mots et de la pensée. Telle est bien, sans doute, la situation de l'amoureux au moment de cet épisode initial au cours duquel il se trouve ravi, enchanté par l'image de l'autre. [...]
[...] Mais que dit-il au juste? Il dit la magie d'une rencontre; il dit l'émerveillement du regard; il dit le besoin d'aimer inscrit en chacun de nous. Mais si l'on reprend les termes exacts de notre énoncé, peut-on dire que ce silence a un sens? Ce silence qui contemple est-il connaissance de l'autre? Est-il l'équivalent d'une pensée? Ce qui caractérise l'état amoureux, en son origine, c'est qu'il est d'abord amour d'une énigme. L'autre est fondamentalement indéchiffrable ; il est radicalement et merveilleusement autre. [...]
[...] Il convient donc de distinguer la conscience spontanée de la conscience réfléchie; car la conscience est faite, tout à la fois, de cette confusion première des sensations et de cette clarté seconde de la pensée. Descartes, dans sa seconde Méditation, décrit parfaitement cette hésitation permanente qui caractérise l'intériorité: «Mais qu'est-ce donc que je suis? Une chose qui pense? C'est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent.» Précisons. La conscience spontanée, irréfléchie, se donne comme un savoir intuitif, hors du langage. [...]
[...] Tour à tour ces silences acquiescent, nient, fuient, communient, admirent, ou souffrent: nous ne pouvons dénier au silence sa capacité de signifier quelque chose. Le silence a donc un sens, mais c'est celui que nous lui donnons. Précisons mieux encore : ce sont nos mots qui donnent un sens au silence des mots. Bien évidemment, il y a une beauté, une grandeur du silence. Mais il peut aussi être ressenti comme une insuffisance ; comme une attente que seuls les mots pourront apaiser. [...]
[...] Ce silence a-t-il un sens? Est-il intelligible? La raison peut-elle en rendre compte? Il semble bien que non. Ce qui se tait, dans ce silence, c'est le Logos, dans sa double acception - raison et discours. Certes, ce silence est estimable, et sans doute même est-il admirable, mais s'il est riche d'un mystère, il ne fait pas pour autant sens. [II. Vacuité du silence ] Il ne s'agit pas de remettre en cause la densité de l'expérience spirituelle, mais, pour une conscience moderne, ce qui se perd dans ce silence mystique c'est l'entendement même, c'est-à-dire cet effort de la conscience humaine pour comprendre. [...]
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