Nous savons que le langage est le moyen par lequel s'élabore la réflexion, qu'il est l'instrument privilégié de la raison, l'outil premier de la communication : fondamentalement, il est ce qui donne un sens aux choses, aux relations humaines. Mais que faut-il entendre par le mot sens? C'est ce qui est chargé d'une intention signifiante, d'une volonté d'intelligibilité. Mais il arrive parfois que la parole s'abstienne, se taise : fasse silence. Faut-il en déduire alors que le sens disparaît? Qu'en dehors du langage, l'humanité est vouée au non sens, à l'absurde, à la solitude? Ou faut-il, au contraire, considérer que le silence a un pouvoir, possède en lui-même une capacité d'exprimer, de dire, de signifier? Qu'il est, d'une certaine façon, une parole muette? En d'autres termes : le silence a-t-il un sens? Tel est l'enjeu paradoxal auquel nous sommes conviés : le silence dispose-t-il des mêmes privilèges que la parole? Contient-il une richesse signifiante et secrète?
[...] Elle seule mesure le sens ou l'insignifiance d'un silence. Souvenons-nous de la célèbre formule de Pascal: Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. Que faut-il comprendre ? En redessinant l'univers, en l'ouvrant à l'infinité, la science a désenchanté le monde. Désormais, Dieu s'est absenté de la Création, les espaces infinis» sont vides. Ce que nous dit ce silence, c'est précisément la perte du sens. D'une certaine façon, il ne nous dit rien, il nous fige dans l'effroi et dans le délaissement. [...]
[...] Aucun échange, aucune égalité ne régit ce type de rencontre. D'une certaine façon, ce qui définit l'amoureux, dans cette situation, c'est son infinie solitude. L'autre est intouchable, inabordable, c'est une apparition au sens religieux du terme ( Flaubert emploie le mot). Parler serait prendre le risque de rompre le charme ou d'être rejeté. Que faut-il penser de cette scène silencieuse? De cet amoureux subjugué qui s'incline devant le pouvoir de l'autre? Ce silence fasciné est-il à ce point privé de sens? [...]
[...] Bien évidemment, il faut en revenir à l'étymologie: l'expérience mystique est inséparable de la notion de mystère, elle se situe au-delà de toute forme d'argumentation. Le mystique est une sorte de réceptacle vide, offert; sans geste, sans parole, sans ego. Mais, pour le croyant, ce rien silencieux est un Tout. L'expérience que nous venons de tenter d'analyser relève très exactement de la catégorie de l'indicible - Saint Augustin souligne d'ailleurs fréquemment le rapport difficile entre le langage et la spiritualité. Ici, le langage humain doit s'incliner devant la présence sacrée. [...]
[...] Tour à tour ces silences acquiescent, nient, fuient, communient, admirent, ou souffrent: nous ne pouvons dénier au silence sa capacité de signifier quelque chose. Le silence a donc un sens, mais c'est celui que nous lui donnons. Précisons mieux encore : ce sont nos mots qui donnent un sens au silence des mots. Bien évidemment, il y a une beauté, une grandeur du silence. Mais il peut aussi être ressenti comme une insuffisance ; comme une attente que seuls les mots pourront apaiser. [...]
[...] Ce silence a-t-il un sens? Est-il intelligible? La raison peut-elle en rendre compte? Il semble bien que non. Ce qui se tait, dans ce silence, c'est le Logos, dans sa double acception - raison et discours. Certes, ce silence est estimable, et sans doute même est-il admirable, mais s'il est riche d'un mystère, il ne fait pas pour autant sens. [II. Vacuité du silence ] Il ne s'agit pas de remettre en cause la densité de l'expérience spirituelle, mais, pour une conscience moderne, ce qui se perd dans ce silence mystique c'est l'entendement même, c'est-à-dire cet effort de la conscience humaine pour comprendre. [...]
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