« Je veux que leurs visages soient noirs en plein midi. Je veux que leurs mains soient rouges. C'est cela la lumière ». Ces paroles prononcées par le personnage Electre de Giraudoux et qui se rapportent aux criminels semblent de prime abord sévères. Toutefois, après réflexion, l'opinion commune s'accorde à dire qu'elles sont justes. C'est la question complexe du jugement porté par l'homme sur le concept de justice qui mérite alors réflexion. Jusqu'à quel point la formule « sévère, mais juste » correspond-elle à la perception de la justice, et plus profondément à sa définition même ? Ce double niveau d'interrogation pose d'ores et déjà une distinction entre l'apparente sévérité de la justice et le caractère essentiellement sévère de la justice. La sévérité est-elle cependant un attribut nécessaire et objectif de la justice ? La sévérité renvoie à une attitude morale exigeante qui vise la qualité et la droiture et qui ne laisse rien passer, d'où un jugement qui tend à sanctionner durement toute déviance ou manquement à l'exigence précédemment posée. Dans ces conditions la corrélation entre un jugement sévère et un jugement juste n'est pas évidente. N'est-il pas paradoxal de porter un jugement de valeur sur la justice qui a la prétention de transcender et d'organiser toutes les valeurs d'une société ? Comment expliquer alors ce décalage entre l'apparente sévérité de la justice et l'idéal de justice indépendant d'un tel qualificatif, en d'autres termes une justice exclusivement juste ? Le passage du modèle de justice à son application dans le monde réel suppose-t-il nécessairement un ajustement qui passe par la sévérité ?
[...] Comment dès lors ajuster au mieux la justice imparfaite humaine au modèle qu'elle se donne ? A défaut de disposer d'un point de vie clairement assignable, la justice humaine peut faire preuve de sévérité, laquelle est censée s'approcher de l'exigence de justice idéale. La sévérité de la justice serait alors le pis-aller d'une justice pure, détachée de toute autre valeur. Mais la difficulté à cerner cette justesse et plus encore à l'appliquer dans le monde réel et aux situations concrètes qui se présentent oblige la justice humaine à s'appuyer sur d'autres valeurs morales : la sévérité devient un auxiliaire par défaut de la justice humaine, mais n'en est pas une composante permanente et essentielle. [...]
[...] Or la justice s'enseigne t-elle ? On touche là une difficulté essentielle qui laisse penser qu'il y aura toujours dichotomie entre ceux qui reconnaissent la justice mais la perçoivent comme sévère et ceux qui reconnaissent intégralement la justice si bien que la justice apparaît comme la valeur suprême qui ne peut être qualifiée autrement que de valeur juste. Finalement la formule sévère, mais juste renvoie plus à une perception que les hommes ont de la justice qu'à une réalité ontologique de la justice, laquelle se pose comme valeur première qui organise toutes les autres et ne souffre pas de jugement moral. [...]
[...] A contrario la reconnaissance au sens deux intériorise complètement le concept de justice au point que le jugement de sévérité n'a plus lieu d'être : la justice est reconnues et jugée sous le seul angle de se justesse. Le problème qui se pose alors est celui du passage du stade premier de reconnaissance au second. Platon place à la tête de la cité idéale les philosophes-rois acquis au modèle de l'Idée de justice0. mis les citoyens, eux, ne respectent que la justice comme contrainte extérieure ou du moins ne disposent pas du même éclairement que les philosophes-rois. Pour eux la perception de la sévérité de la justice vaut pleinement. [...]
[...] Dans ces conditions la corrélation entre un jugement sévère et un jugement juste n'est pas évidente. N'est-il pas paradoxal de porter un jugement de valeur sur la justice qui a la prétention de transcender et d'organiser toutes les valeurs d'une société ? Comment expliquer alors ce décalage entre l'apparente sévérité de la justice et l'idéal de justice indépendant d'un tel qualificatif, en d'autres termes une justice exclusivement juste ? Le passage du modèle de justice à son application dans le monde réel suppose-t- il nécessairement un ajustement qui passe par la sévérité ? [...]
[...] Pourquoi la sévérité impliquerait-elle la justice ? Il est impossible de fonder en raison et de justifier une telle affirmation qui reste au niveau des apparences. Un jugement peut être sévère mais motivé par la malveillance, il peut être sévère mais aveugle et ignorant, bref il peut être sévère et injuste. Le problème de la justice corrective montre l'ampleur du décalage qui existe entre les deux pôles de la sévérité et de la justice. Montesquieu montre ainsi très justement que ce ne sont pas les punitions modérées qui encouragent les crimes, mais l'absence de punition du coupable. [...]
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