Parce qu'il existe parmi les choses, les objets qui forment ce monde, l'homme est placé dans un incessant rapport avec eux. Qu'il les transforme, qu'il les consomme ou qu'il les laisse intactes, l'homme est en interaction avec eux, et ce d'abord parce qu'il s'en sert. Se servir des choses de ce monde, c'est pour l'homme faire quotidiennement appel à leur fonction et, à travers elle, à leur utilité. Mais cet usage est restreint par une limite au-delà de laquelle l'homme ne se sert plus simplement des choses, mais les asservit. Si servir c'est bien ainsi être utile, quelle sont alors les modalités, mais aussi les limites, de cette utilité ? Et au-delà de celle-ci, comment penser le rapport de l'homme aux choses dans l'acte même de servir ?
[...] On ne peut alors que penser l'homme comme une fin en soi, qui ne saurait par conséquent être prise pour un simple moyen. Reste que servir désigne avant tout la relation de dépendance entre un maître et son serviteur, relation dans laquelle, parce que contrainte, ce dernier aliène sa liberté. Toujours est-il que servir peut au contraire être pour l'homme une façon de manifester sa liberté, en se portant ainsi librement vers les choses, et en faisant don de lui-même. Servir, c'est alors tout simplement être au monde, être pour le monde, et essayer ainsi de donner un sens à sa vie. [...]
[...] L'homme, en tant qu'esclave, est ainsi réduit au statut d'une simple chose, ce qui, notons-le, n'est pas le cas du travailleur en qui celui qui utilise sa force de travail reconnaît un homme à travers la contrepartie qu'il lui remet en échange de son travail : un salaire, quelle que soit sa forme, puisque c'est ici la valeur symbolique de ce salaire qui importe, en tant qu'elle marque la reconnaissance par l'employeur de l'asservissement auquel consent le travailleur. Mais chez l'esclave, il n'y a nulle reconnaissance de la sorte. Au contraire, l'esclave n'est qu'un moyen parmi d'autres dont l'homme se sert pour atteindre une fin donnée. C'est d'ailleurs en ce sens qu'Aristote estime que l'esclavage est naturel. Selon lui, les hommes ne naissent pas égaux ; mais certains sont par nature destinés à dominer, tandis que d'autres sont destinés à servir. [...]
[...] Celle- ci est même double : une déshumanisation intérieure, puisque l'homme, et en l'occurrence l'esclave, ne peut plus se reconnaître dans le fruit de son travail ; et une déshumanisation extérieure, en tant que, nous l'avons vu, le maître nie par nature l'humanité de l'esclave en ne le considérant que comme un simple moyen. Servir, ce serait donc fondamentalement nier sa liberté. Or on pense communément l'homme comme étant doué d'une liberté naturelle. Comment l'homme pourrait-il alors être amené à nier cette liberté originelle en se trouvant en l'état servir ? C'est précisément la question que pose La Boétie dans son Discours de la servitude volontaire. [...]
[...] On dira ainsi qu'une pièce nous sert de cabinet de travail. La structure verbale peut même être complétée par un complément de but, à travers la préposition pour : cette pièce me sert de cabinet de travail pour mes travaux de comptabilité. Il y a donc ici trois compléments différents qui se rapportent simultanément à l'acte de servir : l'utilisateur de la chose considérée (introduit par la préposition à parfois sous-entendue), la fonction de cette chose de et le but dans lequel cette chose est utilisée pour Ce sont ces trois compléments qui caractérisent la notion de servir au sens où servir, c'est pour l'homme disposer des choses, et à travers elles de leur fonction, en vue d'une fin donnée. [...]
[...] Le travail est par essence un processus d'identification. Mais une telle définition du travail suppose que le travailleur se représente la finalité de son travail et comprenne lui-même les procédures par lesquelles il va réaliser cette finalité. Ainsi, lorsque les conditions du travail sont telles que le travailleur ne se reconnaît ni dans son travail ni dans le produit de son travail, le travailleur se retrouve étranger à lui-même. Or, en latin, étranger se dit "alienus" : on parle donc ici de l'aliénation du travailleur. [...]
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