Dans la réputation volontiers faite aux philosophes, et ce depuis l'Antiquité, d'être des semi-fous ignorants du quotidien ou de véritables « casse-pieds », on peut deviner une réaction de défense de la mentalité dominante ou de l'opinion commune contre ce qui est ressenti comme une sorte d'agression permanente à l'égard de la quiétude des esprits. Comment la philosophie pourrait-elle ainsi inquiéter ? En quoi inquiéter les esprits ou diffuser l'inquiétude fait-il partie de sa fonction ?
[...] - Ce faisant, le philosophe fait surgir des questions là où il semblait ne pas y en avoir. Tout devient objet de questionnement, alors que pour l'opinion devraient exister des domaines incontestables. Pour la philosophie, il ne doit rien exister de sacré, qu'il s'agisse du pouvoir en place, de la religion, de la morale, etc. En conséquence, la perturbation introduite dans les esprits rendus inquiets peut apparaître grave, et se révéler lourde de conséquences (d'une certaine façon, si l'on admet que Socrate est bien le premier philosophe, l'interrogation philosophique montre aussitôt son danger, puisque Socrate a été condamné à mort). [...]
[...] On voit que le questionnement, une fois commencé, est interminable. De même, au naturel il substitue volontiers l'historique (au moins depuis Hegel, sinon depuis Rousseau) ou le fait de culture, et fait ainsi affleurer des problèmes de choix et de valeurs là où on admettait des nécessités. - Le questionnement philosophique interpelle ainsi l'opinion, ne serait-ce qu'en la contredisant et en l'obligeant à se connaître comme n'étant que de l'opinion. Et ce, dès l'origine : lorsque Socrate interroge ses interlocuteurs, c'est fréquemment à propos du sens d'un mot Qu'est-ce que le beau ? [...]
[...] En effet : - Pour le philosophe, rien n'est évident, ou normal ou naturel Face à une situation, il s'interroge (et entend diffuser cette interrogation) sur sa raison d'être : pourquoi en va-t-il ainsi ? Pire, son interrogation, lorsqu'elle est poussée au maximum, concerne la totalité Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Ainsi, le normal lui apparaît comme n'étant que de la norme, mais alors, d'où vient la norme ? Qui la produit ? Au nom de quel pouvoir ? De quel droit ? [...]
[...] Dans cette optique, généraliser l'inquiétude, cela signifie d'abord généraliser la prise de conscience de la véritable situation de l'homme relativement à ce qui l'entoure, c'est-à-dire qu'il constate d'une part qu'il vit dans un monde qui ne dépend pas seulement de lui, mais que complémentairement, il en vienne à concevoir plus lucidement quels sont ses véritables pouvoirs relativement à ce monde. En d'autres termes : la philosophie inquiète, mais pour amener chacun à assumer ses propres responsabilités, relativement à ses possibilités de réflexion et d'action. Ce qui se nomme aussi faire de l'anonyme un citoyen responsable. [...]
[...] En quel sens la philosophie a-t-elle pour fonction de nous inquiéter ? Dans la réputation volontiers faite aux philosophes, et ce depuis l'Antiquité, d'être des semi-fous ignorants du quotidien ou de véritables casse-pieds on peut deviner une réaction de défense de la mentalité dominante ou de l'opinion commune contre ce qui est ressenti comme une sorte d'agression permanente à l'égard de la quiétude des esprits. Comment la philosophie pourrait-elle ainsi inquiéter ? En quoi inquiéter les esprits ou diffuser l'inquiétude fait-il partie de sa fonction ? [...]
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