En quel sens peut-on dire que la philosophie de Bergson est une philosophie de l'esprit ?

Résumé du document

Que Bergson ait pensé l'esprit semble d'emblée irrévocable ; mais la question de savoir s'il est possible de parler de son œuvre comme d'une « philosophie de l'esprit » est bien plus délicate, dans la mesure où une telle expression éveille deux sens principaux à polarité inverse, qui font de l'esprit l'origine ou la finalité de la philosophie. Selon le premier sens, la philosophie partirait de l'esprit comme d'une source ; elle serait une sorte d'auscultation spirituelle, et l'introspection serait alors la source d'information par excellence.

Extraits

[...] Nous pouvons donc dire que la philosophie de Bergson est une philosophie intégrale de l'esprit, qui émane, contre tout psychologisme et contre toute pensée d'un esprit unique, d'une collaboration nécessaire : l'Esprit se fait l'unité spirituelle d'une multiplicité d'esprits avançant et progressant, comme un échange de tendances qui s'intercorrigeraient. Le philosophe a donc finalement par-dessus tout un risque à prendre : il doit comme sauter dans son esprit et tenter d'y nager, pour exprimer ce qu'il est de certain dans la force de son intuition, et contracter une assurance. [...]

[...] L'expérience philosophique n'est pas seulement le sondage de la profondeur de notre esprit, elle est aussi et bien plus ce qui pénètre l'intérieur d'une réalité pour toucher ce qui l'a poussé à la surface. Elle doit entrer dans ce qui se fait, suivre le mouvant, et adopter le devenir qui est la vie des choses. Car toute réalité se déroule selon un sens et une impulsion propre : il n'est qu'à regarder le déroulement accéléré et inversé du film de l'éclosion d'une fleur pour sentir l'absurdité d'une telle reconstitution mécanique de la réalité, qui abstrait sa dimension temporelle créatrice. En toute chose, nous sentons en fait l'orientation et l'irréversibilité de sa durée. [...]

[...] dira-t-il dans La Pensée et le mouvant, p Une telle sympathie nous permet ainsi d'entrer en rapport, non seulement avec notre propre esprit, mais avec l'esprit de toute chose, car elle est ce par quoi nous projetons en l'autre notre propre intériorité ; de la découverte de notre esprit comme élan vital, c'est toutes les formes vivantes qui peuvent devenir esprit. La sympathie est essentielle en ce qu'elle établit un lien avec l'univers à partir de l'esprit. Et la méthode intuitive consiste finalement à mettre en relation des inconscients, c'est-à-dire à apercevoir, au sein de notre esprit, ce monde différentiel de tendances qui nous constitue. Car les analogies établies ne sont pas des projections de nous-mêmes, ou des représentations conscientes de l'intelligence, mais des extensions du domaine de l'autre. [...]

[...] Car si le monde se donne comme une polyphonie de durées qui se recoupent, comme une multiplicité d'esprits plus ou moins contractés ou détendus dans la matière, tout l'enjeu sera de retrouver l'unité spirituelle qui puisse le soutenir, afin qu'une philosophie intégrale de l'esprit, et par-là même qu'une connaissance absolue de la réalité soit possible. Il convient avant toute chose de s'accorder sur l'évidence du fait qu'une philosophie émane toujours de l'esprit d'un philosophe. Mais sachons aussi goûter ce que Bergson veut nous dire lorsqu'il prétend qu'un philosophe n'a peut-être jamais qu'une seule intuition à actualiser dans le monde, qu'un seul élan à exprimer dans la matière. [...]

[...] Autant dire que c'est donc en un sens précisément bergsonien, inscrit dans la durée et le mouvant non au sens habituel ou traditionnel inscrit dans l'espace et l'immobile, qu'il faut entendre la spiritualité de sa philosophie qu'est son empirisme vrai ; celle-ci présuppose de découvrir la double-marche en jeu entre matière et mémoire. Et elle est par-là même une véritable initiation de l'esprit, amené à sonder sa propre profondeur, à prendre le risque d'exprimer sa source, et à s'exposer à lui-même pour l'autre : à faire image. La philosophie devient alors esprit philosophique, et l'esprit devient spirituel ; ultimement mystique. [...]