L'argent apparaît a priori comme une notion insaisissable. A chaque définition que l'on peut trouver, on se dit qu'elle est insuffisante. Première définition économique, l'argent est d'abord un représentant de la valeur marchande attribuée à la chose contre laquelle il s'échange. Mais, l'argent n'est assurément pas que la monnaie, pas qu'une unité de compte. On peut en effet avoir des billets de banque sans avoir de l'argent. Intuitivement, on voit donc que l'argent renvoie à la fois au domaine de l'être et à celui de l'avoir.
De plus, l'argent apparaît comme d'autant plus insaisissable que s'y intéresser apparaît comme quelque chose de défendu. Dans le langage courant, une personne intéressée par l'argent, n'est-elle d'ailleurs pas une personne intéressée tout court ? insaisissable voire défendu, reste que l'argent totalement présent, de l'ordre de l'universel. Présente mais absent, l'argent se présenterait alors sous le signe de l'absence et de l'omniprésence, sous la forme donc de la sensation, de l'instinct.
[...] Selon Dostoïevsky l'argent n'est pas tant un instrument uniquement fonctionnel de l'échange, mais une volonté de liberté frappée dans le métal L'argent s'apparenterait alors comme un potentiel de croissance, de développement. D'ailleurs, argot français concernant l'argent renvoie bien souvent au champ lexical de l'agricole, au mythe de la terre nourricière, fertile et prospère. Idée de moisson, de récolte et de subsistance. Cf. oseille, blé radis patates L'argent est une potentialité de richesse et ce qui est justement reproché à Arpagon dans l'avare de Molière c'est justement de ne pas réaliser cette potentialité. Is time money (Benjamin Franklin) ? [...]
[...] Simmel : une des tendances majeures de la vie : la réduction de la qualité à la quantité, retrouve sa représentation à la plus haute dans et d'une perfection unique dans l'argent Mais alors, dès lors que le désir devient mesurable, il cesse lui-même d'exister en tant que désir. Il va en effet perdre ses qualités de rapport entre des individus pour devenir un rapport entre les seules choses. Et si c'est un rapport entre les choses, c'est que l'argent est d'abord et fondamentalement un objet. Mais dès lors qu'il y a un objet de satisfaction, le désir s'assimile à la satisfaction du besoin et s'abolit lui-même. L'argent ne saurait alors conserver sa neutralité. [...]
[...] La marchandisation des rapports humains implique en effet le refus de l'altérité, la négation du différent, le bonheur de l'identité et l'exaltation du palpable On a coutume de représenter l'argent comme un vampire insatiable. Pourtant, alors que le vampire est le produit de notre imagination, l'argent est un effet de notre action qui s'est autonomisé. L'argent menace le principe même de l'individualité car il complique la possibilité de la distinction. il impose aux choses un critère extérieur à elles, ( ) et abolit leur différence et leur distanciation absolues, leur droit de rejeter toute relation et toute qualité provenant de comparaisons multiples avec d'autres (Simmel). [...]
[...] Mise en place de la carte présente en effet quatre formes de contrôle : - Contrôle par code de carte bleue - Scoring : répertoire des transactions effectuées par la carte bleue - Auto-contrôle (conservation de tickets ) - Self-control : attitutes vis-à-vis de soi du porteur de carte : (moyens mnémotechniques pour se souvenir du code, jeux entre différents comptes) L'argent aurait alors pour corollaire l'omniprésence du contrôle, de son autolimitation par l'évaluation de chacun des actes individuels en fonction et par rapport à lui. c. Quelle place pour l'altruisme et le gratuit ? Mais l'argent omniprésent et détermination puissante de la place de chacun au monde, est-ce à dire que le gratuit ne peut exister ? [...]
[...] Toutefois, dans une perspective plus optimiste, on pourrait avancer l'idée que l'argent en définissant les frontières de ce qui peut et ne peut pas être envisagé sous l'ordre du quantitatif, permet justement le déploiement de l'inappréciable, de ce qui reste irréductible à toute forme d'inchangeabilité, c'est-à-dire le gratuit. Seulement, celui-ci n'étant défini que par rapport à l'argent (absence d'argent), on est en droit de se demander si la virtualité de l'économie contemporaine ne témoigne justement pas d'un pouvoir encore plus étendu de l'argent, précisément sur ce qui devait lui échapper. Fabra, Paul, in Roger-Pol Droit, Comment penser l'argent ? [...]
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