Depuis environ un siècle, nous avons tendance à penser communément que la science peut tout. Nous nous y fions, nous nous y soumettons, persuadés que nous sommes de son progrès continuel ; ainsi tout n'est qu'une question de temps, et à terme la science aura réponse à tout. Cette idée se fonde sur le principe d'une science unie, représentée sous la forme d'une entité à part entière ; un domaine renfermant des spécialistes dans toutes les disciplines (toutes rattachées à LA Science, cette entité mère), travaillant sans relâche à éclaircir toutes les zones d'ombre de la connaissance humaine. Dans cette optique de capacité d'une discipline générale à démontrer toutes les lois qui régissent l'univers, il convient de s'interroger sur les conditions transcendantales d'une telle vision de la science. Certes il reste à prouver que la science puisse tout analyser, tout démontrer, et en ce sens « maîtriser » tous les domaines, mais il reste surtout à savoir si cela est souhaitable (...)
[...] Finalement la science la plus souhaitable en tant que connaissance complète serait peut-être la philosophie. Jusqu'au XVIIIème siècle, les deux termes étaient quasiment synonymes : le questionnement philosophique (procédé cherchant donc des réponses, lui aussi) est effectivement ce qui permet d'arriver à une connaissance première selon Aristote ; la philosophie première, ou métaphysique, est bien ce qui correspond aux racines de tout savoir, à en croire Descartes également. En ce sens-là, la science étant comprise comme un mode de questionnement intellectuel, elle peut effectivement, non pas trouver réponse à tout, mais tout interroger, être la source de toutes nos connaissances. [...]
[...] Rien n'est donc définitif, la science ne maîtrise pas tout. Bachelard écrivait dans son article Noumène & Microphysique que la connaissance scientifique et toujours la réforme d'une illusion. ce qui revient à dire que chaque découverte montre que nous étions auparavant dans l'erreur. Or nous sommes constamment susceptibles de faire de nouvelles découvertes, nous montrant que nous n'étions jusque-là que dans l'illusion la plus complète. La recherche a donc ses limites, ce que nous affirmons peut se révéler faux, et nous ne prétendons pas encore avoir effectivement réponse à tout. [...]
[...] La morale montre que si la science peut tout, ou presque, nous devons, nous, la maîtriser, et non pas nous laisser maîtriser par elle. Nous devons lui mettre les bornes qu'elle est incapable de se poser à elle-même. Les problèmes de bioéthique sont nés d'une liberté de plus en plus totale de la science, risquant d'entraver notre liberté à nous, êtres humains. La maîtrise de tous les domaines par la science, au sens d'une domination incontournable, peut devenir extrêmement dangereux, en se répercutant dans le domaine politique également. [...]
[...] D'autre part, des domaines échappent irrésistiblement à la science, nous l'avons vu, c'est le cas des sciences humaines. Ces domaines se rattachent souvent à des conceptions autres que la science et ses notions de vérité inébranlable. L'étude de l'homme n'est pas une science certaine, et de fait la politique, la morale ou les réflexions sur l'essence, la nature de l'homme et de son inscription dans l'univers (c'est-à-dire la métaphysique) n'ont pas grand-chose en commun avec la science. Kant affirme dans la Critique de la Raison Pure que certains domaines échapperont toujours aux capacités de réponse de l'homme, qui ne pourra par exemple jamais dire et prouver que Dieu existe ou non, justement. [...]
[...] Si notre fascination pour la science n'a de cesse de s'accroître (de plus en plus de gens croyant qu'elle résout tout), le fait est qu'elle ne peut pas tout et que certaines choses lui échappent toujours, et lui échapperont probablement toujours. Il est d'ailleurs préférable que certains domaines ne passent pas sous le contrôle total de la science qui, à supposer qu'elle puisse apporter des réponses, n'est absolument pas la seule et unique donnée, la seule valeur, à prendre en compte. La Libido sciendi, le désir de savoir apparaît dès l'Antiquité comme une des caractéristiques principales définissant l'Homme. [...]
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