"Il serait certainement téméraire de prétendre fixer avec une précision rigoureuse les bornes nécessaires de nos connaissances dans chaque partie déterminée de la philosophie naturelle ; car, en s'engageant dans le détail, on les placerait presque inévitablement ou trop près ou trop loin", déclare Auguste Comte dans son Cours de philosophie positive. Ce faisant, il pointe du doigt la difficulté d'établir des limites à la connaissance, en particulier à la connaissance scientifique ; entreprise délicate, certes, mais pourtant jugée indispensable pour empêcher l'esprit de divaguer, de se perdre dans des recherches forcement infructueuses ou de délaisser la quête de savoirs pourtant à sa portée... En ce sens, les limites de la science ? entendue comme un système, un corps de connaissances constituées, établies ? s'avèreraient particulièrement floues, a fortiori à une époque où la discipline apparaît volontiers, dans l'opinion commune, comme le paradigme par excellence toute vérité, le modèle de toute connaissance valable et fiable (...)
[...] * En effet, la science rencontre sans doute ses limites les plus graves, ou du moins ses limites les plus profondes, dès lors qu'elle se penche sur la vie des consciences, ou dès lors que l'on se penche sur les dispositions de l'âme requises par la recherche scientifique. Descartes souligne déjà le caractère fini de la science, qui est bornée aux seules questions auxquelles l'esprit humain suffit ; Kant poursuit l'analyse en s'efforçant de mieux cerner, de façon critique, les limites de la raison pure. [...]
[...] Connaître, c'est mesurer déclare Brunschvicg : or, justement, la science se limite, aux yeux de Bergson, à l'espace ; elle ne peut en effet qu'accéder, appréhender les objets disposés dans l'espace à des fins pratiques. En ce sens, la connaissance n'est scientifique que si elle est mathématisable, mesurable, si elle peut-être investie par les nombres. Cette structure spatiale, certes efficace sur le plan de l'action, présente cependant l'inconvénient majeur d'exclure la science de la partie du monde, du réel où il y a durée, simultanéité, flux, création En effet, mesurer la durée, la spatialiser à des fins scientifiques serait la dénaturer. [...]
[...] En ce sens, elle ne fait que prolonger la connaissance pratique de notre sens commun La science consiste alors à se rendre maîtres de la matière dans une approche pragmatique, avec le seul objectif de mieux maîtriser le réel, sans véritable souci d'idéal, de spéculation théorique. Or, précisément, la science n'est pas parvenue, selon le vœu de Descartes, à rendre l'homme comme maître et possesseur de la nature même si, à certains égards, elle semble y tendre Toujours est-il que ce désir d'efficacité ne requiert pas une connaissance absolue, comme l'a mis en valeur Auguste Comte : seule la connaissance des lois des phénomènes s'avère dans cette optique vraiment utile Cependant, les lois des phénomènes elles-mêmes ne sont qu'imparfaitement connues ; les théories ne peuvent de fait, selon Popper, que coller imparfaitement au réel Toute hypothèse scientifique doit, selon lui, être falsifiable (doit pouvoir être réfutée, contestée donc) ; mais si une théorie peut être réfutée et éliminée, elle ne saurait être vérifiée : tout au plus eut-elle être confirmée, provisoirement : la science est donc une quête perpétuelle, infinie, qui ne parviendra jamais à cerner parfaitement son objet Popper, dans La Logique de la découverte scientifique, déclare à juste titre que Ce qui fait l'homme de science, ce n'est pas la possession de connaissance, d'irréfutables vérités, mais la quête toujours obstinée et audacieusement critique de la vérité et ce d'autant plus que notre ignorance semble même progresser au fur et à mesure des découvertes. [...]
[...] Or, la conscience est durée : dès lors, il faut s'interroger sur les limites de certaines sciences, notamment les sciences humaines, qui rencontrent de sérieuses difficultés en se penchant sur l'homme lui-même. Les sciences humaines, malgré leurs velléités d'imiter les sciences exactes au niveau de la méthode, ne sauraient être des sciences exactes : elles n'en sont d'ailleurs qu'à leur préhistoire selon Lévi-Strauss, et ne peuvent servir l'action, ce qui constitue une limite pratique de ce type très spécifique de science. [...]
[...] Pour autant, cette vision de la science n'est-elle pas erronée ou du moins par trop simpliste et imprégnée de scientisme, reflétant un idéal utopique, irrationnel, sinon déraisonnable ? L'esprit scientifique, féru de raison, d'explications rationnelles, peut-il prendre le monde entier dans ses filets ? La réalité, la connaissance véritable ne lui échappent-elles pas essentiellement (du moins en partie) et ce, que les plans quantitatif et qualitatif, du point de vue de l'objet et du sujet ? La science a-t-elle des limites ? [...]
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