Que reste-t-il d'un philosophe sinon ses tentatives pour amender, rectifier, dépasser ce qu'une tradition lui a transmis ? Dans le cas de Sartre – dont le XXe anniversaire de la mort a été salué par les médias - les choses sont un peu plus compliquées. Son témoignage ne concerne pas seulement l'histoire de la pensée, mais déborde sur la littérature et sur la critique littéraire.
Nous relirons Sartre en le replaçant au centre d'un triple dialogue, celui qu'il a entretenu avec Husserl, celui qu'il a entamé avec le marxisme, celui qu'il a maintenu avec la psychanalyse. Ce trièdre du savoir sartrien n'épuise certes pas les sources de l'auteur : il faudrait, pour être complet, au moins mentionner d'autres apports, comme ceux de Hegel, de Fichte, de Heidegger, de Merleau-Ponty, de Simone de Beauvoir elle-même, la lectrice la plus compétente et la plus autorisée de ses écrits. Mais phénoménologie, matérialisme historique, psychanalyse sont trois repères indépassables de la vie intellectuelle du milieu de ce siècle.
Ils justifient qu'on essaie d'examiner comment Sartre en a décomposé et recomposé les principes. Un vaste projet qui a pris progressivement forme au gré de sa vie, de ses rencontres et de ses lectures. Projet que nous pouvons condenser a posteriori comme ceci : il s'agissait d'abord de s'appuyer sur une analyse solide de la conscience, ensuite d'inscrire la place de la liberté dans la dialectique de l'histoire, et enfin de sauver la liberté de l'invasion de l'inconscient. Ce projet, il l'a réalisé. C'est lui qui balise notre exposé.
[...] Nul doute qu'elle rende service à la biographie littéraire. Elle n'a cependant rien à voir avec la psychanalyse qui exige traitement sous forme d'un corps-à-corps très particulier qui s'instaure entre l'analyste et l'analysant. Marx et Freud au chevet de Flaubert La manière dont se nouent dans la pensée sartrienne l'héritage de Husserl, celui de Marx et de Freud apparaît maintenant en toute clarté. Fort de son analyse des collectivités, fort de la mise au point de sa méthode, Sartre peut passer à son application. [...]
[...] L'adhésion de Sartre au marxisme et à la politique du PCF se fait, notons-le, sans illusion. Au point de départ de toute réflexion sur l'Histoire, Sartre n'en démordra jamais, il y répétons-le, le conflit : le conflit des hommes aux prises avec la matière ; le conflit des hommes les uns par rapport aux autres. Et l'issue du conflit, ce n'est pas le paradis rouge, la société sans classe ( en quoi Kanapa a bien vu que le loup pénétrait dans la bergerie); l'issue du conflit, c'est toujours à la fois une double postulation vers la reconnaissance réciproque et vers la négation réciproque : De quelque manière que ce soit, l'aliénation est à la base et au sommet ; et l'agent de l'Histoire n'entreprend jamais rien qui ne soit négation de l'aliénation et retombée dans un monde aliéné. [...]
[...] Plus que réducteur, inhumain. Le mot n'est pas trop fort. : L'inhumain, c'est croire que l'homme est une substance porteuse de qualités, de désirs, de traits de caractère, comme semble le faire croire la psychologie empirique qui relève encore de l'ancienne métaphysique ; c'est croire que l'homme est une essence définie a priori ; que l'homme est un faisceau de tendances irréductibles Voir à ce propos les pages lumineuses de L'Etre et le Néant et en particulier cet extrait : ce que chacun de nous exige dans son effort même pour comprendre autrui, c'est d'abord qu'on n'ait jamais à recourir à cette idée de substance, inhumaine parce qu'elle est en deçà de l'humain. [...]
[...] Sartre se jette alors dans la lecture de Husserl. Ce qu'il en retient, c'est, surtout la manière dont celui-ci démonte les faiblesses du Cogito cartésien et en dégage les caractères purement fictionnels. Dans le vécu humain tel qu'il apparaît avant toute théorisation pas de conscience perceptive sans perception, pas d'intériorité sans extériorité. L'isolement cartésien de la conscience dans la certitude de soi est une abstraction qui fait abstraction du monde. La conscience comme la vue est extériorité. Elle est vue de la vue, c'est-à-dire de la présence de l'autre, qui peut être ce verre, ce vase, cette écorce Ce qu'illustrent les passages suivants des Ideen, dont l'auteur est- il n'est pas inutile de le rappeler- un mathématicien : chaque instant, je me trouve être quelqu'un qui perçoit, se représente, pense, sent, désire, etc. [...]
[...] Sans en faire porter la responsabilité au peuple russe, je répète que son gouvernement actuel a commis un crime . ( Je dis qu'avec les hommes qui dirigent actuellement le Parti communiste français, il n'est pas, il ne sera jamais possible de reprendre des relations. Chacune de leurs phrases, chacun de leurs gestes est l'aboutissement de trente ans de mensonge et de sclérose. L'express novembre 1956, cité dans Annie Cohen-Solal, op. cit p Comment expliquer ce revirement ? Par une saute d'humeur, une trahison ? [...]
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