Nous sommes donc portés à penser que si la sagesse peut être révolutionnaire, c'est en tant qu'idéal de vie et d'apprentissage, dans le sens où elle opère un changement important dans des habitudes de vie et dans la perception du monde. Or il convient de remarquer que, si ce qui est révolutionnaire concerne un groupe, le sage est quant à lui représenté seul : la sagesse peut-elle être révolutionnaire si elle ne concerne que le sage ? Peut-on dire qu'elle ne change que celui qui la recherche ? Telle sera la première question que nous examinerons. Nous tenterons ensuite de voir en quoi la sagesse peut être révolutionnaire au sens spécifique, c'est-à-dire, d'abord, si elle est véritablement exempte de violence et, ensuite, si elle est dénuée de toute dimension politique. Nous serons amenés par ce biais à déterminer si la sagesse « ordinaire » peut avoir quelque chose de révolutionnaire et à comprendre le mécanisme et l'importance de la sagesse dans l'économie du monde.
[...] Le stoïcien doit donc lutter et se révolter contre quelque chose, et ce quelque chose c'est contre lui-même, c'est-à- dire contre la propension à l'erreur et à la souffrance qui sont en lui. La sagesse relève d'une lutte et d'une révolte intérieure ; elle vise une maîtrise de soi, non une maîtrise du monde extérieur, ce qui explique pourquoi elle paraît à première vue ne faire que se soumettre à l'ordre du monde. - En réalité il ne s'agit pas d'une soumission mais d'une conquête. La sagesse peut donc être l'objet d'une révolte et d'une lutte, mais elle ne combat pas un ennemi extérieur. [...]
[...] Au contraire, la sagesse, même si elle a le pouvoir de changer radicalement et pour le mieux le mode de vie et de rapport au monde de celui qui l'exerce, n'est pas un projet commun à plusieurs sages. La sagesse reste une quête individuelle que chacun doit réactiver pour lui-même, recherche qui doit nécessairement s'inscrire au sein d'une vie en société. La sagesse au sens fort d'idéal de vie et de recherche intellectuelle peut donc être révolutionnaire au sens faible en tant qu'elle provoque un changement radical pour le meilleur. Mais elle ne peut être révolutionnaire au sens politique car elle ne concerne jamais qu'un individu. [...]
[...] C'est du moins ainsi qu'Augustin nous la présente le début de sa quête de la sagesse dans les Confessions, c'est-à-dire dans un ouvrage rédigé autour du moment central qu'est la conversion à la vraie sagesse On peut donc penser que pour le jeune Augustin, la lecture de l'Hortensius ne fut pas anodine et qu'elle introduit un premier changement dans son existence, assez important pour qu'il entreprenne de convertir tous ses amis au manichéisme. La recherche de la sagesse comme sa découverte sont donc l'occasion de changements radicaux dans la vie de celui qui l'expérimente. Le changement institué par la sagesse va-t-il pour autant dans le sens d'un mieux-être ? Là encore, la position d'Augustin est ambiguë : en tant que la vraie sagesse est le christianisme et qu'elle implique un retour de l'âme à Dieu, la sagesse est associée au bonheur et à un mieux- être. [...]
[...] La sagesse a-t-elle une dimension politique ? Il ne s'agit pas ici de savoir si les exercices de raisonnement auxquels se livre le sage peuvent concerner la politique : ils le peuvent à l'évidence. Le but de notre question est de savoir si, par son choix de rechercher la sagesse, le sage ne se pose pas d'emblée en contestataire de l'ordre prôné par le pouvoir en place. Car si le sage stoïcien doit se conformer à un ordre, c'est à l'ordre établi par la Raison universelle. [...]
[...] Pratiqué avec sérieux, le doute fait violence à la manière naturelle immédiate d'appréhender le monde, et il ne manque pas de donner le vertige tant à Descartes qu'à Husserl, qui avouent tous deux ne pas réussir à l'exercer de manière radicale très longtemps. La violence physique n'est pas non plus totalement étrangère à la sagesse. Dans bien des cas, le sage est aussi un ascète qui se plie à des règles de vie parfois austères et souvent extrêmes : les gnostiques espéraient se libérer de l'emprise du corps par l'épuisement de la chair, que ce soit dans l'appauvrissement (jeûnes etc.) ou dans la surabondance (festins etc.). Certains saints pratiquaient également des macérations de la chair parfois très violentes (Origène s'est émasculé lui-même). [...]
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