Le respect d'autrui est au coeur de la morale, il en constitue même le fondement. La morale, en effet, s'attache à régler les actions humaines dans les rapports que les hommes entretiennent avec leurs semblables et ne cesse par conséquent d'inviter les hommes à se demander en permanence comment bien agir à l'égard d'autrui. Cependant, on constate que le respect d'autrui n'est pas facile à justifier. En effet, l'homme n'arrive pas à trouver les raisons qui justifieraient le fait qu'il doive respecter autrui, et ce alors même qu'une règle morale fondamentale lui impose de le faire en permanence et fonde la morale (...)
[...] C'est donc par pur intérêt que je respecte autrui et la raison de ce respect réside dans mon intérêt propre, alimenté par l'instinct qui me fait prendre pitié de moi si l'on venait à me faire du mal: le respect serait donc "une habile prévoyance des malheurs ou nous pouvons tomber" (La Rochefoucauld). Il apparaît donc que l'on peut justifier le respect d'autrui en faisant appel à notre sens moral. En effet, en considérant autrui comme on se considère soi-même, on se trouve enclin à la compassion, laquelle nous interdit de porter atteinte à nos semblables. Mais est-ce là encore, la forme la plus achevée du respect? Ne peu-on, en effet, y déceler un certain intérêt qui me pousserait à respecter autrui simplement pour qu'il me respecte en retour? [...]
[...] Le respect d'autrui devrait donc être justifié de la même façon que toute action morale, c'est-à-dire par le seul souci de respecter autrui, sans aucune autre mobile. C'est dire que pour être réellement justifié, le respect d'autrui devrait être totalement désintéressé, puisqu'il faudrait ne rien attendre en retour. Pour que je le respecte uniquement pour le respecter, autrui ne doit-il pas être alors considéré dans sa spécificité, c'est-à-dire comme l'être donc je diffère radicalement et qui m'oblige à le respecter sans réciprocité attendue ni espérée? Levinas insiste, en ce sens, sur le rôle que jour le visage dans la relation éthique à autrui. [...]
[...] Or autrui m'offre justement des raisons de le respecter. Il est, en effet, un autre moi-même, c'est-à-dire un être sensible comme moi. Comme le suggère Rousseau, on peut constater la présence en l'homme "d'une répugnance innée à voir souffrir son semblable", ce que Rousseau appelle la pitié et qui "précède l'usage de toute réflexion". C'est dire que la pitié peut être considérée comme une forme de respect, lequel serait provoqué par la simple reconnaissance de l'autre comme son semblable. Du coup, ce respect ne serait plus artificiel mais naturel et il serait puissamment motivé puisqu'il relèverait quasiment de l'instinct. [...]
[...] Il s'ensuit que la raison qui explique le respect d'autrui semble relever du fait. C'est la vie en commun qui semble exiger que je respecte mon "prochain" car il est celui avec qui j'ai à vivre et à cohabiter. C'est donc la vie en collectivité qui impose la nécessité d'une cohabitation pacifique entre ses membres sans qu'il y ait à discuter du pourquoi ni du comment. Schopenhauer compare ainsi la société humaine à un troupeau de porcs-épics en montrant que "le besoin de société pousse les hommes les uns vers les autres", mais, qu'en même temps, leurs défauts les forcent à maintenir un écart entre eux. [...]
[...] Il s'ensuit que respecter autrui consiste donc à saisir le sens et la valeur de la vie humaine qu'on peut menacer à travers l'autre et dont on devient responsable. Le respect d'autrui acquiert alors le sens d'un pur devoir dont je ne dois rien attendre en retour. Je ne respecte pas autrui parce que j'ai besoin de sa présence ou pour qu'il me respecte en retour. Il n'y a pas de "réciprocité" et, du coup, je me dois de respecter aussi celui qui ne me respecte pas. La critique de la peine de mort ne repose-t-elle pas justement sur le devoir fondamental de respecter aussi le criminel? [...]
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