Constamment des choses me "viennent à l'esprit", me traversent l'esprit. Notre faculté de réfléchir et de comprendre fonctionne en permanence : dans la rue, par exemple, sans que je ne m'en rende compte, mon cerveau reçoit et analyse un nombre impressionnant de données (distance, bruit, danger…). Nous pourrions appeler ces éléments mes représentations. Mais quel est alors le sens précis de ce mot aux multiples significations ? Il s'agit ici de représentations mentales, c'est-à-dire qu'elles sont ce qui est présent à mon esprit. Pour reprendre une expression kantienne appropriée, on peut dire que nos " facultés de représentation " désignent un acte par lequel l'esprit se rend présent quelque chose, mais aussi le résultat de cet acte. Avoir des idées, c'est donc avoir des représentations.
Intuitivement, on pourrait dire que mon idée, ma représentation d'une chose, c'est ma perception de la chose, c'est son apparaître, son surgissement. Les représentations semblent donc s'imposer à moi. Est-ce à dire que nous n'avons aucun contrôle sur nos représentations, qu'elles dépendent exclusivement de facteurs extérieurs à ma conscience ? Si c'est le cas, alors nous pouvons faire une croix sur nos aspirations d'une part à la connaissance, d'autre part à la liberté. En effet, si je ne puis maîtriser mes représentations, c'est-à-dire ici mes idées, alors toute liberté de penser est illusoire. Pareillement, si mes représentations ne dépendent pas de moi, comment parvenir à la connaissance du monde extérieur, comment juger de la réalité des choses qui m'entourent et de leur essence ? Ce sujet remet donc en cause deux des enjeux majeurs de la philosophie : la connaissance, et plus particulièrement la possibilité de la connaissance, et la liberté. Peut-on donc s'accommoder d'une analyse qui prive l'homme de toute faculté de connaître et de se déterminer librement ? Assurément cela est difficile : comment donc dépasser ce cadre de réflexion afin de montrer que nous détenons un pouvoir, plus ou moins étendu, sur nos représentations et que nous pouvons les maîtriser ?
[...] Pour cela, il faut dépasser le cadre de réflexion sceptique. La connaissance et la liberté étant deux des enjeux majeurs de la philosophie, les philosophes ne pouvaient se satisfaire des conclusions des Sceptiques. Platon, bien qu'antérieur aux Sceptiques, connaissait leurs principaux arguments car ils existaient déjà avant la naissance du courant sceptique, notamment au travers de la philosophie de Protagoras, célèbre pour son relativisme l'Homme est la mesure de toute chose ce qui signifie qu'à chaque individu correspond au moins une représentation, d'où l'impossibilité de la connaissance de ce qui est représenté). [...]
[...] Si je suis malade, si j'ai trop bu, alors le même objet m'apparaîtra différemment de la manière dont il me serait apparu si j'étais dans des conditions normales. Nos représentations dépendent donc des circonstances et notre esprit est en quelque sorte trompé par la divergence des apparitions, des phénomènes suivant les circonstances, les conditions de la perception. Nous pouvons également être le jouet d'autrui qui, en se donnant en représentation d'une certaine manière, va nous tromper sur sa nature. Etant donné que la vie sociale peut être considérée comme une gigantesque scène de théâtre, ce phénomène est assez fréquent. [...]
[...] Nos représentations ne dépendent donc pas de nous suivant les Sceptiques. Le seul pouvoir que je peux exercer sur mes représentations est celui exposé dans la définition de Sextus Empiricus : j'ai le pouvoir de suspendre mon jugement. Ce pouvoir est relativement faible, il faut bien en convenir. Pour plusieurs raisons d'ordre différent, mon pouvoir sur mes représentations et donc ma liberté semble être assez fortement limité. Qu'on en reste à l'infrastructure marxiste ou qu'on l'élargisse à nombre de facteurs socioculturels, de nombreux déterminismes pèsent sur nos représentations. [...]
[...] Nos représentations dépendent donc aussi d'autrui et de la manière dont il se présente à nous. C'est le même genre de problème que celui de la divergence des circonstances exposée plus haut sauf qu'il y peut y avoir, dans le comportement d'autrui, une volonté consciente de donner une certaine image de sa personne, une certaine représentation de son être social. Nos représentations sont donc déterminées, nous l'avons vu, par de multiples facteurs socioculturels comme économiques, mais elles sont aussi conditionnées par les circonstances de la perception, du surgissement des phénomènes. [...]
[...] Refusant le " mol oreiller " que constitue le doute aux yeux de Montaigne, nous avons en nous le pouvoir de nous interroger sur nos représentations et de parvenir progressivement à une connaissance de plus en plus étendue malgré la finitude de notre " entendement Si de facto les représentations dépendent peu de nous, il est une chose qui ne dépend que de nous : prendre conscience de notre pouvoir sur nos représentations et se servir de cette faculté afin de les mettre au pas et de les subordonner à notre " volonté à notre conscience. Car c'est dans cette démarche que résident la possibilité de la connaissance et la liberté première de l'Homme. [...]
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