L'idée de Justice, commune à tous les hommes bien que pas nécessairement identique d'un individu à l'autre, peut se baser sur plusieurs principes, plusieurs concepts du Juste. De fait, si les hommes sont doués d'un sentiment inné du Juste, ils ne s'accordent pourtant pas autour d'une même valeur de Justice absolue. Mais, par exemple, quel homme s'offusquerait d'un tel principe : « rendre à chacun ce qu'on lui doit », tant celui-ci semble naturel et Juste, en faisant référence à la notion d'équité ? Ce libellé, par les termes « rendre » et « doit », oriente la réflexion vers l'idée d'un retour à la normale, voire un Ordre Normal des choses. Il est ainsi à remarquer que rendre n'est pas donner, ce qui insiste donc davantage sur l'acte d'un retour à l'équilibre. Par ailleurs, émerge avec cette formulation la notion à la fois de calcul (évaluer ce que l'on doit, combien si on peut le calculer) et de relation entre au moins deux personnes (à qui rendre, et peut-on toujours rendre ce que l'on doit ?). Par ailleurs, les termes « chacun » et « on » invitent, semble-t-il, à considérer l'aspect universel voire intemporel d'un tel principe. Dans quelle mesure l'application de ce principe, aussi juste et normal soit-il aux yeux de tout un chacun, et en dépit de la volonté de l'homme pour y parvenir, peut-elle connaître des limites non négligeables ?
Rendre à chacun ce qu'on lui doit est une idée véritablement associée à la conception de la Justice comme le respect de chacun, et par conséquent ne saurait être refusée par quiconque : ce principe relève de la normalité, et même de la Nature. Voilà pourquoi l'homme compte sur différents acteurs pour atteindre cet équilibre dans le cas où ses intérêts auraient été lésés : les personnes qui lui doivent quelque chose, la Justice, et en dernier ressort, lui-même. Néanmoins, l'application de ce principe, même s'il semble accorder tout le monde, connaît certaines limites à ne pas négliger.
[...] Mais lorsque l'inutilité est due au caractère insuffisant et illusoire de la décision, on peut le comprendre. Une personne accusée à tort d'un méfait indicible, n'inspirant que la répulsion, peut être déclarée rétrospectivement innocente, il n'en reste pas moins que sa vie, sa réputation en sont entachées à jamais. Ils sont traumatisés à vie, et les réhabiliter, leur rendre leur innocence ne leur rend, en fin de compte, pas grand chose. A-t-on rendu aux accusés d'Outreau ce qu'on leur devait ? [...]
[...] Mais l'idée de rendre à chacun ce qu'on lui doit renvoie également de manière évidente à l'idée de mérite. Il y a là l'idée de décerner un jugement de valeur, et de traiter quelqu'un ou une institution, une entreprise, selon les honneurs qui lui échoient. En d'autres termes, il s'agit ici de la reconnaissance d'un mérite, par quelqu'un ou institution habilités, en quelques sortes, à le faire. Par exemple, un élève obtient un diplôme qui récompense l'ensemble de ses aptitudes, et dès lors, l'établissement ou l'institution rend ce qu'ils doivent à cet élève. [...]
[...] Ou encore ce qu'il doit, au vu du préjudice infligé ? Par conséquent, l'homme se repose sur la justice pour le règlement de ses différends, et pour que lui soit rendu tout ce qu'on lui doit. Dès lors, comment ne pas s'inquiéter si la justice n'entend pas les revendications de celui qui est floué ? C'est le cas du maquignon Kohlhaas, dans le roman Michel Kohlhaas de Kleist. Devant l'échec de ses tentatives de récupérer ses chevaux par le biais de la Justice, il a déchaîné toute sa violence pour se venger de ceux qui ne lui avaient pas rendu ses chevaux. [...]
[...] Leur vie ne sera jamais plus la même. Patrick Dils, innocenté, est-il soulagé de voir que l'Etat lui a racheté ses quinze années de prison pour la somme d'un million d'euros ? Rien ne lui a été rendu, si ce n'est la liberté effective, mais peut-être déjà plus dans son esprit. Par ces exemples, on constate que parfois, en dépit des conceptions les plus innées, rendre à chacun ce qu'on lui doit peut s'avérer inutile ou insuffisant. Par surcroît, le problème se pose de savoir comment il a été décidé de qui leur était dû. [...]
[...] Deux amis peuvent s'arranger sur le délai de remboursement d'une dette. Deux partenaires commerciaux également. Déjà avec une banque, le problème est différent, car la solvabilité demeure un impératif qui prévaut, et l'affection entre les protagonistes est moindre. Par surcroît, la banque reçoit, finalement avec les intérêts, bien plus qu'on ne lui doit au départ : encore une fois le calcul est difficile parce que les banquiers affirmeront que leur crédit et donc leur aide mérite ce surplus. Par ailleurs, l'homme compte aussi sur la société pour lui rendre ce qu'on lui doit, ou ce qu'il mérite : qu'on lui rende une confiance proportionnelle à l'étendue des ses qualités, comme par exemple un ensemble de prérogatives au sein de la société. [...]
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