Lorsque Chateaubriand entreprend la rédaction de son Génie du christianisme, il croit détenir une méthode originale pour réhabiliter la foi parmi les esprits gagnés par le scepticisme. Il s'agira de démontrer la vérité de celle-ci non par des considérations doctrinales, mais par l'inventaire des beautés terrestres et spirituelles auxquelles le christianisme a pris part. Si on peut estimer que cette tentative n'a guère été féconde, dans la mesure où le mouvement de sécularisation n'en a pas été ralenti, elle illustre néanmoins l'ardente préoccupation manifestée par les croyants à sauver le sens des phénomènes religieux dans les conditions d'adversité les plus grandes. Ces conditions du sens religieux souffrent aujourd'hui d'une exigence sans doute encore accrue : en plus de sa réfutation ancienne par la science, la signification d'un message sacré ne peut manquer d'apparaître paradoxale dans le cadre institutionnel laïque contemporain.
[...] Esprit authentiquement scientifique, auteur de découvertes considérables en mathématiques, influencé par la méthode cartésienne fondée sur les idées claires et distinctes, il rejette néanmoins la voie de la raison pour accéder aux vérités divines. Jusqu'à la Révolution française, la religion contribue donc, à travers des formes certes parfois assouplies (religion naturelle, théisme, déisme) à répondre au besoin de sens. Les progrès dans le déchiffrement de la nature sont autant mis sur le compte d'une capacité humaine que de la manifestation de l'existence d'un grand Architecte de l'univers. [...]
[...] * * * Au total, sans réduire la quête de sens religieux a des poussés individuelles de mysticisme, d'ailleurs présentes chez des individus aussi différents que Balzac et Dostoïevski, mais sans donner non plus trop d'importance à des théories sur l'origine surnaturelle du pouvoir (Frazer), on doit admettre que l'équilibre réalisé par la conception française de la laïcité a permis l'expression d'un sens légitime de la religion, facteur d'intelligibilité de l'univers pour les croyants et contribution parfois appréciée des non-croyants au débat des idées. Rien n'indique qu'un regain de ferveur religieuse qui déborderait la sphère privée puisse assurer la pérennité de cet équilibre. Il appartient en définitive aux religions concernées d'apprécier le sens qu'elles veulent donner à la foi qu'elle suscite, tout en ménageant inévitablement une place aux exigences temporelles, au premier rang desquelles la démocratie, dont la légitimité compte tenu de son histoire en France ne saurait être moindre. [...]
[...] D. Schnapper rappelle que le niveau d'appartenance de la citoyenneté doit demeurer le niveau national. Dans ce contexte, le rôle du communautarisme paraît davantage de créer la confusion que de générer du sens. Tout au moins, l'armature religieuse de certains communautarismes semble présenter un sens d'autant plus clair aux yeux de ses membres qu'elle fournit l'occasion de multiplier les sources de non-sens dans un débat public laïque, par essence inhabile à manier des arguments de nature plus prophétique que démocratique. [...]
[...] Avec la constitution civile du clergé (1790) l'athéisme peut passer pour une preuve de civisme, aussi bien que la dévotion à l'Être suprême. Le scepticisme est favorisé par la découverte avec Herder et Hegel de la relativité historique des vérités et d'une condition humaine susceptible de s'achever dans et par l'histoire. Parce que l'avenir reste néanmoins mystérieux on érige le progrès en religion nouvelle : Saint-Simon et son catéchisme industriel Comte et sa loi des trois états, théologique, métaphysique et positif tentent ainsi de fournir à l'humanité le credo simple et universel auquel elle continue d'aspirer malgré tout. [...]
[...] Les religions continuent de présenter des visions du monde convaincantes Parallèlement à ce désenchantement intellectuel du monde, une évolution semblable se produisait sur le terrain social. La sécularisation des institutions des sociétés occidentales s'est largement accomplie, la plupart des pratiques sociales ne comportant plus de références religieuses. Toutefois au sein même de ces sociétés, des ensembles humains importants continuent d'être guidés par les principes de la foi, attestant que celle-ci continue de fournir une vision du monde convaincante au moins aux yeux de ces croyants. [...]
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