Dans la mesure ou l'esprit religieux admet que Dieu est créateur de tout, il lui est évident que la morale elle-même, avec ses principes ou ses lois, ne peut être que la stricte obéissance à des principes formulés par Dieu lui-même. La thèse est d'autant plus séduisante que les religions (notamment les religions monothéistes) affirment aussi que Dieu est omniscient : la connaissance du bien et du mal lui appartient donc, et les principes qu'il impose aux hommes en sont nécessairement la conséquence. Obéir à Dieu mène donc au bien (...)
[...] Enfin, les principes hétéronomiques ne sont pas obligatoirement théologiques. Si l'hétéronomie suppose que la loi est donné au sujet, elle présente des formules variables, parmi lesquelles la version théologique n'est en quelque sorte qu'un cas particulier. On peut en effet comprendre que les principes moraux proviennent par exemple du "sentiment physique" (Épicure) ou du "sentiment moral' (Hutcheson): ils sont alors internes, et subjectifs puisqu'il est facile de deviner que l'ataraxie que valorisant les épicuriens est relative au corps de chacun. [...]
[...] La morale n'est plus une conséquence ou une application de la foi, elle en constitue au contraire un préparation. Liberté et responsabilité: devant Dieu ou devant les hommes? Loin de nécessiter un tutorat, la raison des Lumières est capable de décider seule de la conduite à suivre. Mais Dieu ne s'efface pas pour autant de la philosophie de Kant, puisqu'il est réintroduit par un postulat de la raison pratique, en même temps que l'immortalité de l'âme et la liberté. Le rôle de ces postulats est de garantir la cohérence de la pensée: si la morale humaine existe, ce ne peut être en vain. [...]
[...] Que d'ailleurs l'homme puisse faire le mal indique sa liberté, en même temps que sa perversion. Que peut devenir la morale sans de tels postulats? "Si Dieu n'existe pas, alors tout est permis", écrit Dostoievski, et rappelle Sartre. Son existentialisme, qui affirme en effet que Dieu n'existe pas, aboutit, lorsqu'il s'agit d'élaborer une morale, à une difficulté majeure: en l'absence de toute transcendance, il n'y pas de valeurs absolues, et même l'idée d'une universalité de la raison paraît contestable. Il en résulte que la conduite dépend intégralement du sujet, alors que celui-ce ne dispose d'aucun système de valeurs auquel se raccrocher. [...]
[...] Puisque aucun principe supérieur à la transcendance absolue ne peut être conçu, la loi morale acquiert un poids définitif, qui convoque le sujet à une obéissance sans faille. Dès ses Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant établit la différence entre ce qu'il nomme, d'un côté, "principes hétéronomiques de la volonté" et ce qu'il considère comme "autonomie" de cette même volonté morale. L'hétéronomie désigne globalement le fait que la volonté du sujet moral obéit à une loi dont il n'est pas l'initiateur, alors que l'autonomie désigne la situation contraire: c'est le sujet qui formule, grâce à sa propre raison (qui se définit bien comme relation à la loi), la loi morale à laquelle il obéit. [...]
[...] Enfin, il ne suffit pourtant pas que je choisisse seul. Il faut aussi que, ce faisant, j'aie conscience de choisir du même coup une version de l'humanité. Se choisir voleur, c'est en effet définir dans ma propre personne la possibilité d'une humanité voleuse. Dès lors la responsabilité individuelle devient absolue (l'absolu, qui n'est pas en Dieu, se déplace en quelque sorte dans l'homme), et elle est d'autant plus écrasante que j'appartiens à une histoire, à une société, relativement auxquelles je dois aussi prendre position, faire connaître les valeurs que je privilégie. [...]
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