Qui n'a jamais rétorqué qu'il était seul capable de savoir qui il était ? Combien de fois répétons-nous "tu ne peux pas comprendre" à celui qui juge nos actions ? En effet, nous adhérons tous spontanément à l'idée que nous sommes les mieux placés pour nous connaître et pourtant personne ne peut se proclamer indifférent au regard des autres. Ainsi, même si l'élève sait pertinemment ne pas se limiter au devoir qu'il rend, le regard que le professeur pose dessus lui importe ; il cherche à savoir ce dont il est capable. Le regard d'autrui est-il donc une condition ou un obstacle à la conscience de soi ? Cette question nous renvoie à une conception de l'homme comme être relationnel. En effet autrui est ici admis comme faisant partie de ma vie et, ainsi, comment pourrais-je me connaître sans son jugement ? Cependant la conscience de soi est communément conçue comme intériorité et autrui est, par définition, ce qui n'est pas moi : comment pourrais-je donc accéder à mon unicité par le biais de l'altérité ? Cette dynamique paradoxale engage une certaine conception de ce que je suis et de ce qu'autrui est pour moi (...)
[...] C'est pourquoi un individu ne rencontrant qu'indifférence sur son chemin court à la perte de son identité. Autrui, me saisissant comme semblable, est donc la condition d'un abord de la conscience de soi comme appartenance à l'humanité. En outre, un certain sentiment de soi, stade liminaire de la conscience de soi, est souvent recherché dans le regard des autres. Ainsi, le Don Juan de Molière, ce séducteur acharné, cherche dans le regard de désir des femmes la sensation de vivre. L'attention d'autrui n'est alors qu'un moyen d'accéder à une fin : l'impression, voir le savoir d'exister. [...]
[...] C'est par ce regard déshumanisant que des milliers de personnes ont perdu le courage d'exister en tant qu'homme dans les camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale. Le regard d'autrui peut donc aller jusqu'à me faire perdre conscience de ma propre humanité, ce que montre bien David Lynch dans Elephantman. Cependant, nous pouvons aussi nous enfermer dans une image valorisante renvoyée par autrui. Ainsi, nous pouvons jouer sur les apparences pour séduire et se conforter dans la projection avantageuse que l'autre nous donne de nous. [...]
[...] Ainsi, en revenant sur les enfants sauvages qui ne reconnaissaient pas leur propre visage, nous voyons bien que le regard d'autrui est une condition pour prendre conscience de ce que nous sommes et faire advenir l'humanité en nous. La conscience serait donc un travail de formation à soi à travers les autres. Mais cet achèvement de la conscience n'est possible, comme l'affirmait Hegel, que dans un échange de regards intersubjectifs. Ainsi, toute conscience de soi est désir, or elle ne peut se trouver qu'en désirant un autre désir, une autre conscience de soi. [...]
[...] Le problème ici posé est donc celui de la définition précis de la conscience de soi dans son rapport à autrui et contient d'emblée un enjeu existentiel. Nous montrerons donc que le regard d'autrui peut être une condition pour accéder à la conscience de soi, bien qu'il apparaisse parfois comme un obstacle. Nous expliquerons ensuite que le regard d'autrui est plutôt une condition pour achever la conscience de soi. Ce n'est pas dans je ne sais quelle retraite que nous nous découvrirons : c'est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes. [...]
[...] En effet, c'est toujours moi qui ai accès au regard d'autrui, et le jugement qu'il porte sur moi ne m'est connu que par l'intermédiaire de ma conscience. Si autrui détient la vérité sur moi, alors il ne pourra jamais me la faire passer sans que je ne lui attribue un sens nouveau. D'autre part, en quoi autrui aurait-il une place privilégiée pour me connaître ? Il ne jouit pas d'un point de vue plus objectif que le mien sur ce que je suis, lui-même m'abordant avec sa conscience subjective. [...]
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