L'analyse classique de la science insiste sur sa quête d'une vérité démontrée. Cette vérité serait « pure », c'est-à-dire libre de tout intérêt, et la technique viendrait ensuite déduire des connaissances scientifiques des applications utiles à l'homme et à la société.
On peut toutefois s'interroger sur la coïncidence entre une telle analyse et la réalité du travail scientifique. Très vite, la science a en effet été liée à des possibilités nouvelles d'agir sur le monde, et ses développements récents confirment amplement cette tendance. Les recherches, parce qu'il est nécessaire d'en compenser les financements par des retombées économiquement intéressantes, semblent de plus en plus préoccupées, sinon orientées, par une finalité technique, au point qu'il est nécessaire de s'interroger sur le rôle que peut y jouer le souci de la vérité : celle-ci ne se résume-t-elle pas de plus en plus à un point de vue utilitariste, c'est-à-dire au fait que « ça marche » ?
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La préhistoire des sciences montre qu'il existe d'assez longues périodes au cours desquelles réflexion théorique et manipulations ou travaux pratiques sont fortement imbriqués. Si l'habitude a progressivement été prise de considérer par exemple que l'astronomie ou la mécanique sont des disciplines « mathématiques », cela ne signifie aucunement qu'en leurs débuts, elles aient été de pures spéculations abstraites. L'astronomie suppose initialement, outre l'observation, l'adoption de présupposés philosophiques ou métaphysiques : lorsque Platon donne, avec le Démiurge du Timée, le principe d'une constitution mécanique du cosmos, c'est pour aider l'esprit à percevoir un ordre d'origine divine au-delà des phénomènes tels que nous pouvons les observer. De son côté, le mécanique est d'abord un art de construire des machines, soit une pratique d'artisans, puis d'ingénieurs.
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De même, les recherches sur la préhistoire des mathématiques montrent que ces dernières n'accèdent pas rapidement au niveau d'abstraction que nous leur reconnaissons volontiers : il y a, pour les notions fondamentales, une origine semi-empirique ou s'affirme le seul souci d'une efficacité pratique suffisante, confirmant en quelque sorte la validité des calculs. On sait ainsi que la géométrie est initialement un art concernant la « mesure du sol », nécessaire aux Egyptiens pour redistribuer les terres après les inondations. Le « calcul » (étymologiquement « petit caillou ») est d'abord une façon de mettre en correspondance, un à un, des cailloux et des marchandises (...)
[...] Pour excessif qu'il soit, le parallélisme suggère au moins que la recherche de l'efficacité technique et sa reconnaissance comme critère de validité d'un savoir condamnent à se préoccuper beaucoup moins de ce que peut être la vérité. La recherche de l'efficience est prioritaire: Dans cette optique, Jean François Lyotard nomme efficience ce qui est désormais le but de la recherche scientifique: c'est une opérativité contrôlée, prévisionnelle Ce qui importe, c'est que le discours scientifique soit opératoire, c'est-à-dire qu'il permettre de réaliser certaines opérations dans un domaine donné. [...]
[...] La recherche de l'efficacité technique exclut-elle le souci de la vérité? L'analyse classique de la science insiste sur sa quête d'une vérité démontrée. Cette vérité serait pure c'est-à-dire libre de tout intérêt, et la technique viendrait ensuite déduire des connaissances scientifiques des applications utiles à l'homme et à la société. On peut toutefois s'interroger sur la coïncidence entre une telle analyse et la réalité du travail scientifique. Très vite, la science a en effet été liée à des possibilités nouvelles d'agir sur le monde, et ses développements récents confirment amplement cette tendance. [...]
[...] III- Que devient le souci de la vérité? Il risque de passer au second plan: S'il est vrai que l'efficacité est désormais inscrite dans la recherche dès ses débuts et doit, tout au long de son déroulement, être préoccupante, on comprend aisément que la découverte de la vérité ne peut plus être prioritaire. Le travail scientifique rejoint d'une certaine façon la position de l'utilisateur quotidien des techniques: peu lui importe de savoir sur quelle théorie est fondée la fabrication des appareils qu'il utilise, ou si cette théorie est vraie, ce qui compte uniquement à ses yeux, c'est que les appareils (poste de télévision, ordinateur, lave linge ou téléphone portable, etc.) fonctionnent. [...]
[...] On constate que c'est dans la même culture que s'est développée une science que l'on a durablement cru indépendante de cette recherche et tout entière vouée à la quête d'une vérité pure. L'analyse de son évolution montre au contraire que les deux sont si étroitement liées qu'elles en deviennent presque impossibles à distinguer. Dès lors, il n'est pas étonnant que le but prétendu de la science laisse la place à l'efficacité technique, qui souligne à quel point l'activité scientifique elle-même est liée, de manières multiples, au pouvoir . [...]
[...] Quels peuvent être les effets du nécessaire financement? Quelle que soit la discipline que l'on considère, qu'il s'agisse de mathématiques, de physique ou de sociologie, toute recherche doit être financée. Or, les recherches coûtent de plus en plus cher, soit parce qu'elles ont besoin d'un matériel de plus en plus important (comme c'est le cas notamment en physique), soit parce qu'elles font intervenir un personnel nombreux (le travail de laboratoire, en biologie comme en physique ou même en mathématiques, est un travail d'équipe). [...]
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