Ce qui nous entoure et frappe nos sens est matériel, mais cela constitue-t-il toute la réalité ? A l'enfant qui serait peut-être tenté de répondre affirmativement, il suffit de faire remarquer que le vent est bien réel, mais qu'il ne le perçoit pas comme un objet, pour qu'il admette que sa conception naïve est insuffisante : toute réalité ne se manifeste pas en une présence immédiatement matérielle. De là à admettre ensuite que ses sentiments ou sa pensée font également partie de la réalité, il n'y a qu'un pas, qui semble encore éloigner la matière. Pourtant, même l'enfant peut constater que la réalité de l'arbre qu'il voit dans son jardin est indépendante des aspects variables qu'il représente selon les saisons : avec ou sans feuilles, c'est toujours "le même arbre", et ce qu'il a pu perdre de matériel ne change par sa réalité. Il semble alors difficile d'affirmer matière est elle-même bien grossière, qui s'en tient aux apparences des choses présentes et à leur matérialité.
[...] Dans sa version la plus ancienne, celle de l'épicurisme, il a l'avantage de rendre compte de la totalité de ce qui existe par une explication unique: tout est composé d'atomes, et tout est en conséquence voué à disparaître et à libérer ses atomes. Cela met fin aux craintes (des dieux, de la mort, de la souffrance), ce qui est loin d'être négligeable, mais cela n'engage pas un programme de véritable connaissance. L'atomisme épicurien n'a aucune prétention scientifique, et son projet fondamentalement pratique (il s'agit de vivre sereinement) ne laisse guère de place au souci de savoir. Il affirme que toute réalité est matérielle, mais ne le démontre pas. Ensuite, il peut proposer une conception de plus en plus subtile de la matière. [...]
[...] Enfin, il peut concevoir une relation dialectique entre matière et pensée. Pour Marx les déterminations ainsi conçues ignorent la dimension historique: il ne suffit pas d'expliquer comment la pensée naît de la matière, il faut aussi comprendre comment cette pensée modifiera cette matière, faute de quoi rien n'a lieu. Le principe de "réciprocité des actions", inclus dans les lois de la dialectique, tant chez Marx que chez Hegel, considère que tout effet devient cause d'un effet ultérieur: ainsi, une situation matérielle détermine les formes et les contenus de la pensée, mais celle-ci entraîne un nouvel état de la matière, qui à son tour influence une nouvelle pensée, etc. [...]
[...] Mais la matière elle-même est introuvable. Mais le matérialisme déclaré de telles recherches doit être situé dans le contexte de la conception contemporaine de la matière. Or, cette dernière, dans l'évolution de la physique depuis Einstein, s'est en quelque sorte "dématérialisée": ce que nous croyons avoir sous les yeux ou ce dans quoi notre genou peut se cogner est compris désormais comme énergie et champs d'énergie. Ramener l'esprit à une activité complexe du cerveau et le redéfinir en termes d'activation des réseaux neuronaux qu'implique chaque opération mentale, c'est dès lors le concevoir dans cet horizon énergétique, tel que, par exemple, l'imagerie cérébrale est capable de nous en donner une illustration. [...]
[...] N'y a-t-il une autre réalité que pour notre esprit? Dans ce contexte "classique", l'esprit construit un schéma abstrait des apparences sensibles et le qualifie de "réalité". Peut alors être posée la question des relations existant entre cette réalité et les apparences elles-mêmes: comment comprendre leur articulation? Question qui s'accompagne vite d'une inquiétude: on devine que les lois évoluent, se précisent ou sont modifiées, et c'est alors la réalité qui devrait être déclarée historique. On échappe à cette difficulté si l'on admet avec Kant que les lois ou la connaissance nous fournissent, non la réalité, mais des vérités, et que ces dernières portent sur la seule version de la réalité qui soit à notre portée, c'est-à-dire sur l'univers des phénomènes, et non des choses en elles-mêmes, dont la stricte connaissance échappe aux structures de notre esprit. [...]
[...] Toute réalité est-elle matérielle? Ce qui nous entoure et frappe nos sens est matériel, mais cela constitue-t-il toute la réalité? A l'enfant qui serait peut-être tenté de répondre affirmativement, il suffit de faire remarquer que le vent est bien réel, mais qu'il ne le perçoit pas comme un objet, pour qu'il admette que sa conception naïve est insuffisante: toute réalité ne se manifeste pas en une présence immédiatement matérielle. De là à admettre ensuite que ses sentiments ou sa pensée font également partie de la réalité, il n'y a qu'un pas, qui semble encore éloigner la matière. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture