Est-il conforme à la raison et au bon sens d'éprouver pour quelqu'un de l'affection, de l'amitié, de la tendresse, de la sympathie, voire de la passion ?
[...] 6). Cet amour est relation, dialogue, inscription dans la durée. Il est oeuvre de raison autant que de sensibilité et de volonté. Marcel Conche parle d'un " amour de raison " (ibid., p. 19) pour qualifier cet amour complet ou parfait qui est la meilleure chose, selon lui, qui puisse advenir à un être humain. Ce n'est donc pas 12.18 l'amour en tant que tel qui est déraisonnable puisque l'amour actif et joyeux est en profond accord avec la raison. [...]
[...] D'où la solution kantienne qui consiste à définir une maxime pratique d'amour et de bienveillance, censée incliner à aimer l'autre hors de toute considération " pathologique " ou " hypothétique c'est-à-dire sans penser au plaisir ou à l'intérêt que j'en retirerai, mais sans, non plus, l'aimer pour lui faire la charité, et par là l'humilier : " Aime ton prochain comme toi-même " (Métaphysique des mœurs). La difficulté étant alors de faire de l'amour de soi le critère de l'amour du prochain, l'altruisme risquant de devenir l'expression hypocrite du narcissisme et de l'égoïsme. L'amour vient alors comme accomplir ce que la raison ne peut tout à fait réaliser. L'amour, nous l'avons vu, est porteur d'une dimension morale, même dans sa dimension passionnelle. Mais, comme le souligne André ComteSponvile dans le Petit traité des grandes vertus, il nous libère de la morale. [...]
[...] DÉVELOPPEMENT III) S'il n'est pas forcément déraisonnable d'aimer, est-il raisonnable de ne pas aimer ? La raison sans amour a-t-elle quelque intérêt et ne risque-t-elle pas de devenir une sorte d'égoïsme calculateur et mesquin ? Jusqu'à présent l'amour a été évalué à l'aune de la raison considérée comme étant seule capable de légiférer et de définir les normes du convenable. Ne faut-il pas renverser la perspective et considérer l'amour comme une vertu cardinale ? Il est encore possible d'opposer l'amour et la raison, mais au profit cette fois de l'amour. [...]
[...] Aristote, dans L'Ethique de Nicomaque, définit l'amitié vraie comme étant sélective, rare et recherchée. Elle comporte trois caractères spécifiques: elle est une vertu (elle n'est ni une puissance, c'est-à-dire une simple disposition, ni une passion, mais une disposition permanente acquise par habitude et entretenue activement); l'amitié relève d'un choix libre (contrairement à l'amour parental, par exemple, qui, comme on l'a vu, ne choisit pas la personnalité de l'être aimé) et d'une décision partagée de bienveillance réciproque; l'autre est aimé pour lui-même et non pour les bénéfices que je peux tirer de cette amitié (amitié utile, amitié plaisante). [...]
[...] Mais l'amour-passion n'est pas la seule figure de l'amour. Le mot amour sert à traduire trois termes grecs différents qui définissent chacun une orientation spécifique du sentiment d'amour. A côté d'Eros, la tradition distingue Philia, relation empreinte de réciprocité et d'estime mutuelle, volonté d'entretenir avec autrui des rapports où se manifeste une certaine excellence morale, et Agapé, amour consacré à autrui dans sa qualité fondamentale d'être un humain et un prochain, sentiment sans attente de réciprocité et indépendant de ce qu'est l'être aimé (exemple de la charité 10.18 chrétienne). [...]
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