Au sens commun, l'acte créateur, et plus particulièrement dans le domaine artistique, a
tendance à être appréhendé comme un éclair de génie spontané et mystérieux, échappant à
toute raison, c'est-à-dire à toute capacité de l'esprit à saisir un sens ordonné des choses. La
création est de fait fantasmée comme l'expression par excellence des passions. En ce sens,
se demander si la raison pourrait être créatrice de valeurs parait pour le moins problématique.
En effet, penser que la raison pourrait être ce qui donne à la chose son prix revient à se
demander s'il est possible que les valeurs soient universalisables, communicables et valables
pour tout esprit, puisque la raison se comprend d'abord comme ce qui s'oppose à la
subjectivité. Penser ce rapport entre raison et valeurs, et plus particulièrement entre raison et
valeurs morales, nécessite donc de développer une réflexion sur l'origine de ces valeurs, afin
de déterminer s'il est possible que l'esprit raisonné soit à l'origine d'un code moral.
Il semble au premier abord que la raison soit aux antipodes de la genèse de valeurs, ne
serait-ce que par la considération de la diversité culturelle des peuples. Pourtant, il existe bien
une tentative d'élaboration d'une morale raisonnée, comprise autour de la notion de devoir.
Mais devant l'acuité du conflit moral, mis en scène par la tragédie antique, cette conception de
la morale se heurte à une impossibilité d'universalisation, si bien que la raison apparaît non
pas comme créatrice de valeurs mais comme régulatrice de leur portée éthique.
[...] Il faudrait dès lors reconsidérer le rapport entre raison et valeurs. * * * La non possibilité d'universaliser une loi morale qui reposerait sur un système de valeur générées par l'exercice de la raison provient du fait que celle-ci nie, par sa vocation universalisante, la particularité des situations de crises morales et, plus grave, l'essence de chacun en considérant au contraire l'essence de l'espèce humaine. En réalité, la raison ne serait pas celle qui crée les valeurs mais qui les régit. [...]
[...] Le premier obéit à certaines lois universelles et logiques de la connaissance théorique pour résoudre un problème. Le second doit toujours employer la raison en fonction d'une situation bien particulière, puisque nul malade n'est semblable à un autre, et l'exercice de la raison doit être modulé par la particularité de la situation de crise (ici au sens d'un conflit intérieur délibératif). Au contraire, l'application aveugle d'une théorie, quoique raisonnée, aurait en médecine des conséquences néfastes. Cette habileté, et, en quelque sorte, cet empirisme de la raison, Est-ce qu'Aristote appelle la prudence Cette capacité, cet attribut de la raison n'a pas pour fonction d'imposer des principes théoriques mais au mépris des particularités des situations, mais bien d'orienter l'action par tâtonnement de la raison, et c'Est-ce qui donne à la raison son caractère régulateur et non créateur de valeurs au nom desquelles l'action est accomplie. [...]
[...] En allant plus loin avec Nietzsche, l'on a pu voir que le système moral occidental pourrait luimême être issu de passions destructrices à l'encontre de celles défendues. Pourtant, la tentative d'élaboration du devoir par critique de l'empirisme est bien réelle, puisque l'impératif catégorique Est-ce qui tend par excellence vers l'universalité. Ce principe se heurte pourtant à des situations où il se révèle impuissant, devant des situations de crise om la tyrannie de la raison législatrice conduit à des dilemmes moraux. [...]
[...] L'interdit moral du meurtre ne trouverait donc pas son origine dans un principe de la raison mais bien dans un sentiment plus obscur, peut-être pervers, de crainte de la douleur. L'interrogation de la valeur des valeurs par Nietzsche va dans le sens d'une étrangeté totale de la raison à la morale. Celle-ci se trouve au contraire affiliée à des passions primaires orientées par une certaine haine, un esprit de vengeance et le poids de la culpabilité. Il apparaît donc que la raison échoue, par sa vocation universalisante, à créer des valeurs morales, et que celles-ci soient liées au contraire à des mécanismes obscurs de la subjectivité, mise en lumière par une généalogie de la morale et l'anthropologie. [...]
[...] C'est pourtant une pratique qui revêt tout son sens pour ceux qui lui donnent une valeur. Loin d'être la simple expression d'une inhumanité barbare, le cannibalisme peut revêtir au contraire une forme de sacralité, jusqu'à prendre le sens d'une purification religieuse. L'anthropologie a tôt fait de montrer une certaine impossibilité d'universalisation des valeurs et donc l'abdication de la raison dans leur genèse, puisque celle-ci est une synthèse de plusieurs facteurs encore mal compris, ayant trait à la culture, voire à la géographie climatique. [...]
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