Hegel, qui fait de la philosophie la science spéculative par excellence, pose que: « Tout ce qui est rationnel est réel, tout ce qui réel est rationnel ». Avec pareille formule, ce qui tombe en dehors de la raison est de l'ordre de l'inexistant, de l'illusoire, ou du superflu. Il est dans la logique du rationalisme dogmatique de choisir le parti de chasser l'irrationnel en dehors de la réalité et de refuser de lui reconnaître une réalité, de n'accorder de pleine et entière réalité, qu'à ce que la Raison peut expliquer. Le rationnel, c'est tout ce qui a été expliqué ou maîtrisé par la raison qui se voit alors charger de la tâche de pourchasser l'irrationalité. De ce point de vue, l'irrationnel n'est que le fantôme de l'ignorance humaine.
Pascal nous présente un point de vue très différent. Pascal en effet, est à la fois un des esprits scientifiques les plus brillants de son temps, mais il est aussi doublé d'un mystique. Dans les Pensées il nous dit que « la dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent ; elle n'est que faible si elle ne va jusqu'à connaître cela ». Accepter qu'il puisse y avoir de l'irrationnel, c'est être rationnel. Il est rationnel de reconnaître les limites de la raison. Cette position s'allie aisément avec la foi. Les vérités de la foi sont supérieures à celles de la raison.
Y a-t-il ici une contradiction ? Doit on toujours affirmer une supériorité de la raison ? Et si l'on parle de supériorité, si on la compare, par rapport à quoi ? l'irrationnel ? Il convient ici d'interroger les rapports de force qu'exerce la raison à l'encontre du réel. Les tensions qu'elle induit lorsqu'elle s'exerce.
[...] Il est délirant de prétendre enfermer la réalité dans un système quel qu'il soit. Aucun système conceptuel ne peut enfermer la réalité dans toute sa complexité. Il est aussi délirant de faire fi de toute raison au point de renoncer à la tâche de comprendre, pour ne faire que croire. La foi aveugle sans la raison est le péril de l'intelligence. L'intelligence consciente d'elle-même se tient entre des extrêmes. Ce qui la concerne vraiment c'est le désir constant de comprendre et le refus de s'en tenir à des explications toutes faites. [...]
[...] La rationalité scientifique est une vision du monde, et non pas la seule possible. Qu'elle ait assuré son empire sur le savoir en Occident, puis sur la Terre entière ne prouve aucunement qu'elle soit la seule forme de culture ou de savoir. Elle n'a pas non plus montrée qu'elle était la meilleure forme du savoir. De même, que penser du souci de créer une démarcation stricte, une frontière indépassable entre science et non-science ? N'est-ce pas là un combat avant tout idéologique ? [...]
[...] Mais comment définir "l'obscur" sans faire intervenir un changement de paradigme? Depuis les Lumières, on a souvent présenté les théories obscures, comme ce qui tombait hors de la rationalité. Newton a été considéré comme un auteur obscur. Einstein aussi. Ce langage du rationalisme militant prend un tour éminemment idéologique quand le rationaliste se voit comme investi d'une mission : dresser un rempart pour protéger la science et repousser les hordes barbares de l'irrationnel et de ses formes ! Il faut conserver le terrain conquis par la science dans la culture occidentale. [...]
[...] Comme le montre très bien S. Aurobindo : l'irrationnel enveloppe : l'infra-rationnel, ce qui se situe en dessous de toute raison. Si la raison est une faculté de synthèse capable d'ordonner notre vison du monde, la déraison se manifeste comme un discours sans ordre, qui ne peut plus se justifier, qui reste dans la confusion ou le délire. C'est par exemple ce qui relève de l'instinctif, de l'habitude mécanique, de la démence, des pulsions, de la bestialité, des formes les plus obscures du vital. [...]
[...] Admettre qu'il y a une réalité au-dessus de la raison, ce n'est pas aller contre la raison. Il y a dans l'inspiration artistique un mystère que l'on ne peut pas ramener simplement à une production rationnelle. Là où un artiste est le meilleur, c'est aussi là où il semble toucher un plan presque surhumain d'harmonie, un ordre qui dépasse les constructions rigides de la raison. Dans ce qu'il a de plus élevé, l'art n'est pas rationnel ce qui ne veut pas dire qu'il soit pour autant bestial. [...]
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