La Raison comme nouvelle modernité, du XVe au XVIIe siècle, Histoire de la modernité, Jacques Attali, Église, démocratie
Au début du XVe siècle, en Occident et notamment en France, domine la conception chrétienne du « moderne » comme transition entre le passé coupable et les temps messianiques. L'Église impose à tous la modestie de ses ambitions terrestres et le refus du nouveau.
Ailleurs, dans quelques ports et foires, à Bruges, Venise, Gènes, Nuremberg, autour de marchands, s'installe une nouvelle conception de la modernité, qui s'appuie sur l'héritage des « Anciens », philosophes grecs et latins et sur les apports ultérieurs de la science et de la technique. Le marchand ne veut plus d'un avenir du monde où il n'est qu'un pécheur. Il veut pouvoir s'enrichir sans être sacrilège. Il ne veut plus faire don de tous ses biens à l'Église. Il ne veut plus que l'évêque ou le seigneur lui dictent sa conduite. Raison et liberté se dessinent. L'une ne va pas sans l'autre. La liberté fait triompher la raison. La raison organise le fonctionnement de la liberté.
[...] S'enrichir, entreprendre, innover devient un signe de grâce divine. Chercher, comprendre, progresser, s'enrichir ne contredisent plus, les ordres divins. C'est un immense changement. Contrairement à ce qu'on a souvent dit ou écrit, ce n'est pas là que commence l'économie de marché. Elle a commencé bien plus tôt avec les marchands italiens et flamands que le grand historien Carlo Maria Cipolla nomme les protestants pas protestants Un peu partout on étudie les Grecs : Montaigne lit Aristote et cherche à rétablir la capacité de penser par soi-même plutôt que de reprendre les idées des Anciens. [...]
[...] L'utopie vise à rationaliser et humaniser une population grossière et sauvage pour former un peuple qui surpasse tous les autres en civilisation Dessin mathématique des villes, propriété privée interdite, temps de travail réduit à six heures par jour, vie en commun, exode rural maîtrisé, temps libre consacré à la lecture et aux échecs. Pour More, la future modernité ne sera pas limitée à l'enrichissement des bourgeois, elle pourra servir l'intérêt général et rester compatible avec la justice sociale. Mais le concept dominant reste encore pour des siècles celui de l'Église en matière de modernité. La Réforme va bientôt esquisser une nouvelle modernité. Tout commence par les critiques formulées à l'encontre des prélats et du pape à partir de la lecture libre de la Bible liée à l'imprimerie. [...]
[...] La mode devient un marqueur du conflit entre diverses conceptions de la modernité. L'Église reste fermée à tout. Elle fait brûler en 1600 en place publique à Rome un des penseurs les plus audacieux de tous les temps, Giordano Bruno, disciple de Nicolas de Cues : il a osé imaginer l'existence des galaxies, remettre en cause la centralité de l'homme et fréquenter William Shakespeare. La recherche du salut n'est plus la priorité des élites marchandes de l'Europe protestante. Progresser n'est plus avancer vers les temps messianiques. [...]
[...] La raison organise le fonctionnement de la liberté. L'imprimerie est un des détonateurs essentiels de ce nouveau mouvement. L'invention de Gutenberg, importée de la Chine, nation dominante, change la donne. Tout le monde ou presque pourra lire la Bible en direct, ce qui empêchera la seule interprétation des hommes d'Église. Et les autres ouvrages vont se multiplier, ouvrant la voie à la diversité des pensées et des opinions. Les nouveaux lecteurs de la Bible critiquent bientôt les interprétations de l'Église. [...]
[...] L'année suivante, en 1690, John Locke explique dans un Second Traité du gouvernement civil que le progrès est à venir et que les sociétés sont d'ordinaire fort ignorantes dans leur naissance et leur enfance Pour lui, l'homme est d'abord à la recherche du bonheur rationnel. L'Église continue de dénoncer le progrès matériel tandis que dans l'Europe du Nord, la nouvelle conception de l'avenir, apparue dès le XIie siècle, s'impose progressivement. Elle est faite de foi dans la raison et dans la liberté, c'est-à-dire dans la démocratie et le marché. 2014. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture