L'habeas corpus, un des fondements du droit anglais, affirme que l'individu a un corps. L'apôtre Paul dit que notre corps appartient à Dieu. Rousseau reprend cette idée religieuse en remplaçant Dieu par la communauté, et affirme que notre corps appartient à cette dernière. La question de la propriété du corps est donc assez problématique mais paradoxalement, si on pose cette question à quelqu'un dans la rue, il va répondre naturellement que son corps lui appartient. Le corps, cette partie matérielle des êtres humains, appartiendrait donc à un propriétaire qui aurait un droit réel sur le corps c'est-à-dire un « droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements » (art 544 du Code Civil).
On peut remarquer que depuis quelques temps, la question de la propriété du corps humain est posée et semble même de plus en plus pressante. Des philosophes telles que C. Crignon –De Oliveira et M. Gaille-Nikodimov éprouvent aujourd'hui la nécessité de clarifier cette question parce que la société est confrontée à de nouvelles questions et que le droit semble perdu au milieu de ces questions. En effet, le corps a du être introduit dans l'espace juridique à cause des nouvelles technologies qui permettent de modifier son corps. Alors qu'auparavant le corps de l'homme était fixé naturellement à un sexe et soumis au hasard de la procréation, aujourd'hui l'homme revendique de pouvoir changer son devenir qu'il ne veut plus contingent. Ces nouvelles revendications de la libre disposition de son corps ont conduit à des innovations technologiques qui ont dépassé le rythme de progression du droit. On s'est donc retrouvé face à un vide juridique d'autant plus intolérable qu'il concernait notre corps et le législateur a du innover pour trouver un nouveau cadre juridique au corps.
On comprend les enjeux pratiques de savoir à qui le corps humain appartient, mais il existe avant tout des enjeux philosophiques. En effet, répondre à la question de l'appartenance du corps humain revient à se poser la question de la nature humaine et donc de la liberté de l'homme. Comme on le verra dans un premier temps, il existe une opposition entre deux définitions majeures du corps humain, le corps perçu comme une chose et le corps qui est un substrat de la personne, à laquelle correspond deux définitions de la liberté de l'homme. Cependant, une seconde analyse montre que ces définitions théoriques du corps se heurtent à des réalités technologiques et de société où le droit a du innover et dépasser les catégoriques philosophiques. Mais in fine, on se retrouve dans une impasse où la question de l'appartenance du corps humain n'appelle aucune réponse possible dans la mesure où les corps qui ne sont naturellement pas égaux, ne peuvent pas être libres.
[...] Ce sentiment d'appartenance est assez naturel. Avant de nous tourner vers ceux qui ont théorisé cette appartenance, on peut tout simplement écouter le langage de tous les jours. En effet, on se pose souvent la question à propos de quelque chose de savoir si c'est le nôtre ou pas, cette question vient rarement à l'esprit à propos de notre corps. Je peux me demander si l'écharpe que j'ai dans les mains est à moi, je ne me demande que très rarement si ce corps que j'habite est le mien. [...]
[...] Puisque l'homme a la propriété de son corps, cela veut dire qu'il doit avoir toutes les prérogatives habituelles qui découlent de la propriété : l'usus, le fructus et l'abusus. L'usus ne pose pas de problème évidemment, le fructus est déjà plus problématique car se pose la question de la prostitution. Mais la prérogative la plus dangereuse est bien entendu l'abusus. Reconnaître que le corps est une chose reviendrait à admettre que l'individu peut librement disposer de son corps. Est-ce que cela pourrait aller jusqu'à la commercialisation de son corps ? [...]
[...] Lemmenicier, Le corps humain : propriété de l'Etat ou propriété de soi ? in Droits, PUF, Paris 1991 E. Kant Leçons d'Ethique, Classiques de Poche p. 268-269. Conseil d'Etat, Ass Oct 1995. Cour de Cassation, Ass. Plén Mai 1991. C. Crignon-De Oliveira et M. [...]
[...] Il a semblé juste aux juristes français qui ici s'opposèrent à une conception anglo-saxonne plus libérale que le corps ne puisse être considéré comme une chose. La principale préoccupation dans la qualification du corps humain, le principal enjeu dans la question quant à l'appartenance du corps humain est la protection de ce corps et la majorité des philosophes et juristes a admis que la meilleure protection serait de considérer le corps comme une personne. Ainsi Kant[4] envisage la personne et le corps comme un ensemble indissociable, et les notions de dignité, d'autonomie du sujet qui a une volonté libre ne peuvent se voir qu'en rapport à ce corps indissociable. [...]
[...] Kant conclut alors que le corps est une partie intégrante de nous même. Certes Kant a développé ce concept de corps-personne en passant par l'intermédiaire de l'idée de dignité humaine dans le cadre d'une réflexion sur l'éthique mais ce concept a été repris par les juristes contemporains. Ainsi le Conseil d'Etat[5] dans un arrêt d'Assemblée a t il du protéger le corps humain d'une personne en passant par l'idée de dignité humaine telle qu'elle avait pu être élaborée par Kant. [...]
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