Le suicide, problème limite de la pensée antique de la mort et de la philosophie.
Pour l'ensemble de la philosophie antique, le suicide constitue un problème-limite puisque, que ce soit pour Plotin, Platon ou les Stoïciens, les trois principaux protagonistes de notre étude, la philosophie vise une séparation de l'âme et du corps. Ainsi, parce que l'aboutissement à une injonction sans délai au suicide marquerait indéniablement l'échec de la philosophie, il faut définir plus précisément en quoi consiste une telle « séparation » par la philosophie pour résoudre le problème que Pierre Hadot résume en ces termes :
« Plotin dit et répète qu'il faut se séparer du corps ; pourquoi ne pas le faire volontairement et physiquement, une bonne fois, pourquoi ne pas fuir d'ici, lorsqu'on est lassé du corps et de la vie ? »
Parce que c'est le problème-limite de sa philosophie, Platon le pose au tout début du Phédon, sans le résoudre - évidemment, a-t-on envie de dire, car on pressent que la résolution du problème du suicide tel qu'il est posé par la philosophie antique ne peut se faire que dans l'inconnu de la loi divine, sans lequel la connaissance qu'on aurait de la solution ferait s'évanouir la tentation du suicide : connaître la loi divine, c'est à la fois le seul moyen de résoudre le problème et effacer les raisons de se le poser. Plotin aborde la question en un court traité, où il se réfère au Phédon et polémique avec les thèses stoïciennes. Dans ce seizième traité, Plotin n'invente pas à vrai dire une approche originale du problème du suicide, mais fait la synthèse entre platonisme et stoïcisme, autour de l'intégration de l'exception de la folie, selon laquelle le sage pourrait se donner la mort au cas exceptionnel où il sentirait la folie s'emparer de lui. C'est précisément autour de la notion d'exception, de nécessité, de liberté du sage et d'absolu de la loi que s'articulent les principales différences entre Plotin et les auteurs du stoïcisme : Epictète, Marc-Aurèle, Cicéron et, à la marge, Sénèque.
Après avoir vu en quoi le thème de la séparation entre âme et corps constitue un point commun, quoiqu'avec des variantes, entre plotinisme, platonisme et stoïcisme, nous présenterons les arguments de Plotin en en cherchant les influences et les éléments polémiques, pour enfin voir qu'ils peuvent se réduire à deux questions fondamentales sur lesquelles Plotin se distingue de ses prédécesseurs : le rapport entre l'individu et son corps d'une part, entre liberté et nécessité d'autre part.
[...] Cette âme parfaite peut être comprise comme l'harmonie régissant la liaison. On voit apparaître dès ce premier argument l'opposition entre l'acte volontaire et l'harmonie supérieure de la nécessité. Ce premier argument est proche du second en ce qu'il désigne le suicide comme l'acte d'un élément inférieur à l'harmonie transcendant et l'âme et le corps. Il est également proche du quatrième en ce qu'il se réfère à cette harmonie supérieure dans la hiérarchie produite par la procession, nom de la nécessité dans la doctrine plotinienne. [...]
[...] Celle que Dieu veut. La philosophie vise donc à se détacher de ce qui ne dépend pas de nous, de ce qui ne nous appartient pas en propre, elle s'attache à la personne morale non au corps ; ainsi, dans un dialogue d'Epictète : - Eh bien, je te ferai mettre aux fers. - Homme, que dis-tu là ? Moi ? C'est ma jambe que tu enchaîneras. Ma personne morale, Zeus lui-même ne peut la vaincre. - Je te jetterai en prison. [...]
[...] J'attendrais la cruauté de la maladie et des hommes, lorsque je puis échapper à la souffrance, et me soustraire aux coups de l'adversité ! Et la liberté est si près de nous ! Et il est des gens qui se résignent à la servitude ! N'aimeriez-vous pas mieux voir votre fils périr de cette manière que vieillir lâchement? Pourquoi donc vous troubler, lorsque des enfants savent mourir avec courage ? Si vous ne voulez pas suivre, vous serez entraîné. Faites donc de bon gré ce qu'il vous faudra faire de force. [...]
[...] Le corps étant dépendant de la procession que la contemplation remonte, la procession même, présence de la puissance de ce dont on dépend, qui nourrit le corps : Le sage, par la seule présence de sa vie spirituelle, transforme aussi bien la partie inférieure de lui-même que les hommes qui l'approchent. C'est que, d'un bout à l'autre de la réalité, l'action la plus efficace est présence pure. Le Bien agit sur l'Esprit par sa seule présence, et l'Esprit agit sur l'âme, l'âme sur le corps, par leur seule présence. Dans l'ascèse plotinienne, il n'y a donc pas de lutte contre soi- même, il n'y a pas de combat spirituel. [...]
[...] La polémique avec Sénèque et Marc-Aurèle est claire, car ceux-ci revendiquent de pouvoir anticiper leur propre mort, sinon de le devoir. C'est un pouvoir chez Marc-Aurèle, en le cas probable où la raison s'essouffle en fin de vie. Pour Sénèque, la revendication est plus forte, en témoigne ces deux extraits : Vous en trouverez d'autres faisant profession de sagesse, qui vous diront qu'il n'est pas permis d'attenter à sa vie, que c'est un crime de se détruire, qu'il faut attendre le terme que la nature nous a prescrit. [...]
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