Notre expérience est d'abord expérience des autres : dans l'action, le désir, le langage, nous nous situons en relation avec un autre dont l'existence semble aller de soi. Autrui est un alter ego, le prochain, à la fois le même et l'autre. En tant qu'individu, avec ses caractéristiques propres, il est différent de moi. Mais en tant que personne, il est semblable à moi. Comme "moi", c'est un moi qui apparaît comme une extension, un analogue de moi-même : un sujet doué de conscience, capable de faire des choix délibérés et digne de respect. Notre premier devoir envers autrui semble alors de s'efforcer de le "connaître". Je peux en effet le comprendre, me "mettre à sa place", puisqu'en tant qu'ego, autrui renvoie à moi, se donne comme un "double" de moi-même, c'est-à-dire témoigne de cette intériorité dont je suis d'abord l'épreuve. Etre attentif aux manifestations d'autrui, c'est pouvoir inférer à partir de ce que je ressens moi-même, ce que ressent autrui. Pourtant, autrui est le moi que je ne suis pas, un moi qui n'est pas moi. Or, le moi peut être caractérisé par l'identité de son être et de son apparaître : il n'est rien d'autre que ce qu'il est pour soi. Comment alors ce qui, par définition, n'apparaît qu'à soi-même, peut-il se donner à un autre ? Comment l'ego, en tant que pure intériorité, peut-il être autre, c'est-à-dire comporter une extériorité qui l'expose à moi ? (...)
[...] La jalousie consiste alors à guetter en autnti la marque de I'inaccessible, à vouloir saisir les signes de f insaisissable : (cf. ProusT.,La prisonnière. Pléiade. tome III, p. [...]
[...] oe sorte que parler d'autrui devient presqlle dépour-r . u de sens. Faire d'autrui uri-6ompiïôe;e1ui qui parlicipe à ma conlivence avec le rnonde, c'est rnontrer qu'autrui et moi-même disparaissons dans une généralité où personne ne rencontre plus personne, parce que chacun ne se reconnaît plus 1uimême. Il s'agit donc maintenant d'échapper à la pure coïncidence de nos consciences, oir 1'altérité d'autrui serait abolie faut bien le reconnaitre, c'est d'abord dans f intériorité et ia subjectivité qr"re je vis mon rapport à autrui. [...]
[...] me passer d'autnri. La pennanente solirude dLr naufragé appofterait la preuve de ia consistance d'un monde sans autr-ui, et donc du fait qu'autrui n'est qu'un suppiément au monde. Or, non seulement Robinson possède la caisse du charpentier (r1 n'a pas à refaire le lent processus qui I'a conduit à la maîtrise des outils : emprriquement seul sur son îie, i1 a déjà I'humanité avec lui dans la hache et le mousquet) qui fait de lui l'héritier de f ingéniosité humaine, mais il mr-rltiplie 1es rites et 1es activités [...]
[...] Mais cette connaissance > consiste à rechercher une intersubjectivité qui reste relation entre de pures subjectivités. Le rapport à autrui est une relation d'nn ego à un alter ego. Or, en conservant une perspective dualiste et ce présupposé d'une subjectivité pure (mouveillent inverse de celui de la prernière partie), l'expérience d'autrui devient celle d'un moi empirique, c'est-à-dire d'un objet. Or, il y a toujours identification de i'autre à moi dans 1a connaissance : c'est parce qu'il est d'abord le même que moi qu'autmi serait au re, alter ego. [...]
[...] Mais Robinson, lorsqu'il est I'auteur de toutes ces institutions, ne cesse de produire autour de lui et en lui la présence de l'humanité, de peur de perdre sa propre humanité si celle-là venait à lui rnanqner. Ainsi, s'ii m'arrive d'être seui, la solitLrde est une figuration très inadéquate du solipsisme. Quand Pien'e n'est pas ernpiriquement présent, face à moi, il vient de me quitter ou il va revenir : il est visé dans mes regrets et mes attentes. ou même dans ie soulagement d'être délivré de son importunité. L'immédiateté de mon vécu renvoie ainsi au caractère pathétique des sentirnents que j'éprouve pour autrui. [...]
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