La chanson dit : « le travail, c'est la santé ». Mais qui niera le fait que c'est dans le repos, donc hors du travail, que la santé se retrouve ? Car celui qui est malade ne va justement pas travailler. « Le travail, c'est la santé » semble être une maxime dépassée à l'heure où le travailleur n'aspire plus qu'à quitter son poste de travail pour aller se divertir et se reposer.
Mais alors, pourquoi travaillons-nous ? Si l'homme est par nature paresseux, et si le travail est synonyme d'effort et de pénibilité, il faut, pour comprendre cet acharnement à travailler dont l'homme fait preuve, examiner le gain qu'il en retire. Que gagnons-nous à travailler ? Si le travail nous semble pénible, il est parfois encore plus pénible d'en être privé. Mais alors, quel est le véritable gain que l'on retire du travail ? (...)
[...] Ceci nous apprend que les biens peuvent s'accumuler en vain. Le travail comme source de gain n'est donc pas celui qui fait avoir, posséder, mais celui qui fait être. S'il est vrai que dans notre société, certains ont une importance sociale de par leur travail, il est vrai aussi que le travail en tant qu'effort (et non pas en tant que travail socialement évalué) permet au travailleur de prendre conscience de lui, de ses capacités. Travailler, c'est mettre en œuvre ses compétences : c'est donc les découvrir, les garder actuelles, les développer et acquérir une certaine conscience de soi. [...]
[...] Néanmoins, il ne suffit pas de transformer la nature pour travailler. Par exemple, cueillir des fruits dans un arbre pour les consommer immédiatement est une activité qui ne peut être apparentée au travail. On ne dira pas en ce sens de l'animal qu'il travaille. Il y a travail à partir du moment où l'homme retire de cette transformation de la nature plus que ce dont il a immédiatement besoin. Le travail se définit alors par le gain : il y a travail lorsque l'on récupère de son effort plus que ce que l'on avait auparavant. [...]
[...] Mais méfions-nous des mystificateurs : tout travail n'est pas épanouissant, et tout travail n'est pas source de gain. Le dur labeur imposé fait bien plutôt perdre à l'homme son humanité. En ce sens, on ne gagne à travailler qu'à condition que l'effort produit soit source de création et de reconnaissance de soi. Il faut donc distinguer le dur labeur aliénant et le travail créateur. Seul ce dernier est source de gain : on y gagne notre liberté et notre humanité, l'affirmation et la conscience de ce que l'on est. [...]
[...] Nietzsche parle en effet ainsi du travail laborieux, du dur labeur qui occupe le travailleur du matin au soir. Mais à cette forme de travail, il oppose le travail créateur (en particulier celui de l'artiste). Le travail comme source de gain serait celui qui donne plus que ce qu'on y a sacrifié. Gagner, c'est dépasser ce que l'on est déjà. Avoir plus ne sert à rien tant que l'on n'est pas plus. Aristote évoque la fable du roi Midas pour expliquer le peu de valeur de la possession en elle-même : le roi Midas, ayant reçu la possibilité d'exaucer un de ses vœux, souhaita que tout ce qu'il touche se transforme en or. [...]
[...] Rompu par le labeur, le travailleur n'a plus la force ni de réfléchir ni de se rebeller contre des conditions de travail inhumaines. Ce gain illusoire que l'on nous fait miroiter est situé dans un au-delà religieux. Il consiste dans l'immortalité, dans le paradis promis à ceux qui agissent moralement et ne se rebellent pas. Ce gain, explique Nietzsche, n'est qu'une mystification. Le travail est en fait la meilleure des polices. Là encore, ce n'est pas le travailleur qui gagne à travailler, mais celui qui tient le travailleur sous son joug, celui qui fait travailler. [...]
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