L'art, récemment, a pris de nouvelles formes. Celles-ci ont, à leur tour, fait surgir de nouvelles questions quant à l'art : c'est qu'en effet la question « qu'est-ce que l'art ? », question classique tendant à aller chercher au fond des œuvres d'art une essence de l'art, est devenue de plus en plus improbable. Pourquoi et comment ? Parce qu'il a semblé qu'on ne pouvait plus problématiser l'art d'une telle façon. À nouveau, pourquoi ? D'abord parce que la diversité actuelle des pratiques artistiques semble interdire de problématiser l'art par ses effets : la statue de Délos, un Chagall, un CD et un piano broyé dans un musée sont quatre produits d'activités artistiques, et le problème de la temporalité et de la matérialité de l'œuvre d'art semble irrésoluble. Ensuite parce qu'on ne peut plus dire que l'art c'est le beau, autrement dit que l'art est ce qui a pour fin le beau : la téléonomie de l'art, la définition des fins et des règles qui les servent, sont là aussi dérégulés, et il faut plutôt parler d'atéléonomie en ce que ces lois et ces fins peuvent être conçues d'une infinité de façon ; on ne peut donc apparemment plus problématiser l'art par sa fin. C'est que de plus en plus souvent l'œuvre d'art apparaît comme un discours, ou un effet de discours, et la perspective théorique et discursive dont elle surgit comme son unique réalité. Cette perspective contemporaine brise le carcan de la perspective classique. Cependant on insiste sur les risques d'abus : n'importe quoi pourrait devenir une œuvre d'art. On s'interroge donc sur le statut du discours instituant l'art et sa puissance à se substituer à l'activité par laquelle l'art a traditionnellement lieu. La réalité de l'œuvre d'art est-elle dans l'œuvre elle-même ou dans le discours qui la constitue ? C'est ainsi que surgit la nécessité ou le souci de rendre justice à l'art, mais plus, pour les raisons que nous avons commencé à évoquer, sur le mode du quoi ou de l'essence, mais sur le mode du quand et du contexte et du fonctionnement ; cette dernière question en effet est saisie comme plus urgente, face aux dérives d'un certain art contemporain. Pour en comprendre la portée autant que la limite, il nous faudra commencer par essayer de reconduire à notre tour l'itinéraire de pensée qui y conduit, autrement dit, de tenter de saisir ce qui se joue dans le passage du quoi au quand. C'est alors seulement que nous pourrons dans un deuxième temps tenter de proposer quelques réponses qu'elle permet de donner au problème de l'art. Que permet-elle de penser de l'art, si elle ne pense pas son essence ? Mais, naturellement, et en même temps, si elle ne pense pas son essence, est-ce bien l'art qu'elle pense ? Mais surtout, pour penser quand l'art est, ne faut-il pas déjà savoir ce qu'il est ? Et dès lors, si la question quand ne peut venir qu'après la question quoi, cette première ne doit-elle pas pâtir en réalité de réactiver une essence de l'art issue du sens commun, et donc manquer la vraie question ? Il faut alors reposer la question quoi. Mais non plus sur le mode d'une tentative de totalisation d'ensemble par l'accumulation empirique et la déduction de principes à partir des œuvres, mais bien sûr le mode de l'essence, et plus précisément de la question de l'origine de l'œuvre d'art, c'est-à-dire de l'origine de son essence. La question est alors: où et comment y a-t-il art ?
[...] D'un tel renversement dépend aussi en un sens l'art conceptuel tel que le théorise Sol Lewitt. L'art conceptuel est cet art dont les pratiques et les produits sont strictement associés au système décisionnel dont ils participent ; ici, le discours essentiellement constitue le principe esthétique. Le discours est producteur et de la pratique et de l'œuvre en question. C'est pourquoi dans cette optique s'il y a quelque chose qui mérite le nom d'œuvre d'art, c'est le système des énoncés qui valide les pratiques comme œuvres d'art (ce qui permet de réinterpréter en retour l'art classique lui-même comme l'objet réitéré de discours instituant un type d'œuvre). [...]
[...] Par symbole, précise Goodman dans Quand y a-t-il art ? (in Ways of Worldmaking), il ne faut pas entendre simplement des œuvres comme les montres molles de Dali par exemple, mais toute œuvre en tant qu'elle représente, car représenter est assurément référer à, tenir lieu de, symboliser. Toute œuvre qui représente est un symbole ; et l'art sans symbole est l'art sans sujet En ce sens, Goodman s'emploie à montrer que même l'art puriste, qui prétend ne rien symboliser, ne référer à rien, est encore symbole, même si ce qu'il symbolise ce ne sont pas des choses, des gens ou des sentiments, mais certaines structures de forme, de couleur, de texture qu'il expose. [...]
[...] Le critère approprié pour juger de l'apparaître est la beauté Tandis que les choses sont prises dans leur usage et les représentations associées à cet usage, l'œuvre d'art, en tant qu'objet esthétique, est pur apparaître, n'est que ce qu'elle est. L'œuvre d'art se donne, et se donnant à voir ne donne que soi-même à voir. Seulement, comme l'identification de l'œuvre d'art comme simple apparaître ne suffit pas (c'est qu'alors n'importe quoi peut devenir pur apparaître, c'est aussi qu'à force d'abstraction on en arrive à des enveloppes trop grandes), Arendt rajoute le critère de la beauté pour pouvoir discriminer des choses. Ainsi, nous retombons dans la pétition de principe, et une nouvelle sphère déterminante et discriminante doit être trouvée. [...]
[...] La question est alors: où et comment y a-t-il art ? C'est, d'abord, la question quand qu'il nous faut rencontrer. Nous avons déjà souligné les difficultés essentielles qui mènent à elle : dans ses effets comme dans ses fins, l'art semble ne plus manifester aucune unité, avant même de manifester une essence. Si l'art n'est plus le beau, on ne peut pas dire qu'il ne le soit parfois pas, ou qu'il ne l'ait pas été : mais il faut donc chercher un principe plus général susceptible de coiffer sous sa coupe l'ensemble des phénomènes artistiques. [...]
[...] La question quand prend ici un sens historique, une même production artistique apparaissant tantôt comme une œuvre d'art tantôt non. Mais en réalité, s'il ne s'agit là que d'apparaître, on voit tout de suite que les éléments historiques répondant à la question quand et faisant que l'œuvre d'art est tantôt rendu à sa valeur tantôt non ne concernent pas l'œuvre elle-même, mais sont extérieures. Cependant nous reviendrons sur cette idée que l'œuvre d'art puisse tantôt être et n'être pas pour nous, ou qu'une œuvre d'art puisse mourir, car il pourrait bien y avoir là quelque chose qui fasse signe vers une essence de l'art. [...]
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