L'enfant que l'on éduque ne doit être maintenu que dans la dépendance des choses, c'est-à-dire de ses propres limites physiques, et non dans celle des hommes. C'est pourquoi Rousseau, dans l'Emile ou de l'éducation, imagine de ne punir ses débordements que par son impuissance face à un obstacle qu'il rencontre. Cette attitude du pédagogue garantit la liberté de l'élève, qui sera le moment venu capable de rejoindre la société sans être corrompu, comme élément idéal d'un nouvel ordre social, hypothétiquement plus juste, et porteur de ce dernier. Grâce à cette métaphore de l'éducation, on peut percevoir la sensibilité de la société humaine au mode de punition choisi en son sein, sorte de départ d'une genèse sociale, car l'homme vertueux peut seul, pour Rousseau, contrebalancer la débilité des lois opposées aux volontés particulières : il est peut-être le premier pas vers leur inflexibilité, vers le contrat social.
Bien punir relève donc à la fois d'une analyse cohérente de la société et d'un projet pour son devenir. En posant ce problème, nous postulons la présence d'un « punisseur » placé face à lui, et même, nous faisons ce « punisseur », et sommes mis en demeure de choisir entre divers modes de punition préexistants dans l'une ou l'autre de ces deux perspectives ; mais auparavant, l'auteur de la punition, que l'on suppose incarné, a dû se demander comment punir. Au moyen de quels instruments peut-il frapper un tiers d'une peine pour avoir commis un délit ou un crime ? Ou plutôt sanctionner une faute par une peine, une punition ? Ou, sans focalisation particulière, sévir1 ? La cible de la punition est en effet logiquement un tiers, mais elle peut aussi être le sujet lui-même, s'il s'estime coupable. Punir suppose aussi des limites, tant par son caractère social que par sa nature d'application, qui introduit une dialectique entre décision et effectivité disjointes. Le mode de punition est quant à lui sujet à une évolution, aussi bien particulière, se jouant dans un cas donné, qu'historique.
Ceci posé, en revenant sur la nature du punisseur, dont nous avons, étrangement peut-être, si facilement et si naturellement épousé le point de vue, nous sommes tentés de l'assimiler à l'institution de justice, mais n'excluons pas un sens singulier à lui donner, puisqu'il s'est d'abord imposé. Cela nous amène cependant, de même que nous sommes désormais capables de nous détacher consciemment de l'image du punisseur omniscient comme notre double, à formuler l'idée que le punisseur n'est pas tout-puissant, du fait qu'il peut-être médiatisé par cette institution2. La cible de la punition ne peut dépendre immédiatement et uniquement de la volonté du punisseur, et ce souvent quand bien même ils seraient la même personne : avoir commis un acte punissable nécessite d'avoir échappé aux instances qui le puniraient. L'homme puni doit-il donc se soumettre pour une punition efficace ? Peut-il dès lors se corriger, se « redresser » par elle ?
Ainsi, en quoi punir permet-il de fonder de nouveau la société, en agissant sur elle à travers la seule expression d'une punition, qu'elle soit une condamnation, après que l'on a statué sur un jugement, donc, ou non ?
Tout d'abord, punir exclut de la société celui qui est avant tout un coupable ; pourtant, punir réintègre dans la société celui qui est ensuite un membre de celle-ci ; enfin, punir renseigne par le mouvement de rejet-retour de l'homme puni sur la marche de la société.
[...] En effet, si son action répréhensible par la loi l'a éloigné de son identité sociale, la punition l'y ramène. Par exemple, dans Crime et Châtiment, de Dostoïevski, la solitude de Raskolnikov est palpable, que ce soit dans ses délires, dans la nécessité où il se trouve d'être secret, ou même dans l'isolement dans lequel il se mure vis-à-vis de sa mère et de sa sœur Dounia. La culpabilité est à ce point insoutenable que l'ascension sociale que visait le meurtre de l'usurière lui est impossible, suite à une sorte d'apathie neurasthénique : il n'envisage pas de poursuivre ses études, pourtant le mobile principal de son geste. [...]
[...] Cette garantie n'est pas seulement sa pérennisation globale, c'est aussi le respect qu'en a chacun. Ainsi, Rousseau, dans Du Contrat social, livre II, chapitre exprime le fait que le contractant relève jusque pour sa vie du Souverain, qui peut exiger celle-ci, puisque seule la protection du second permet la survie du premier. Lui-même n'a aucun droit, en tant que sujet, sur la vie d'un autre contractant, membre du Souverain en ce qu'il est considéré par le pacte social positif comme atteint dans sa conservation, que le pacte défend. [...]
[...] Si Socrate semble prendre par la même occasion un malin plaisir à abonder apparemment dans le sens des tendances de son interlocuteur à brouiller les concepts qu'il manie, il se place bien sûr du point de vue du bonheur, qui apparaît comme la récompense de la belle âme, ou plus spécifiquement de l'âme ordonnée, capable de refuser les excès. L'idéal de modération que professe Socrate permet, par la punition de l'injuste, de le faire moins malheureux : la mesure qu'il est susceptible de retrouver après cette période d'impunité rend possible sa réintégration dans la société comme homme puni, juste en puissance. La possibilité de réintégration A partir de là, l'efficacité d'une punition dépend de la réintégration du coupable dans la société. [...]
[...] On ne peut évaluer une peine sans penser, sans se référer implicitement, à la loi du talion. Cette pérennité du talion comme aune de justice disposée en fond culturel met en évidence l'interconnexion dans l'histoire même des visions du punir des sociétés. Une évolution du fait de punir doit tenir compte du talion comme cadre de pensée répandu, et de sa propre réversibilité en tant que pratique sociale4. Les sociétés du contrat sont-elles capables de choisir leur mode de punition ? [...]
[...] Paris : Garnier Flammarion p. PLATON. Gorgias. Traduction, introduction et notes d'Elisabeth Canto- Sperber. Paris : Garnier Flammarion mise à jour en p. DOSTOÏEVSKI, Fedor. [...]
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