Prétendre juger la culture des autres paraît discutable dans la mesure où l'on pourrait nous reprocher de ne pas assez bien connaître pour pouvoir le faire. À l'inverse, qui mieux que moi serait à même de juger ma propre culture ? Je la connais forcément mieux que ceux qui appartiennent à une autre culture et il est donc légitime que ce soit moi qui puisse la juger aux mieux. Or le fait d'appartenir à cette culture ne risque-t-il pas cependant de m'empêcher de vraiment la juger ? En effet, appartenir à une culture, n'est-ce pas être dans une certaine relation affective avec elle ? Or tout jugement n'implique-t-il pas au contraire une certaine mise à distance ? Dès lors, comment pourrais-je la juger objectivement ? De plus, comment pourrais-je juger de la valeur de cette culture autrement qu'à travers les valeurs et les références qui sont les siennes et dont je suis imprégné ?
[...] Ainsi, Nietzsche critique bien son époque ainsi que la culture elle-même et dénonce ses travers lorsqu'elle en vient à "étouffer" la nature. Cependant, ce jugement que chaque individu est censé pouvoir porter sur sa propre culture est-il pour autant objectif? L'objectivité ne suppose-t-elle pas au contraire un regard extérieur? Si la valeur d'un jugement tient avant tout à son objectivité, ne s'ensuit-il pas que l'on ne peut guère juger sa propre culture, à moins d'avoir pris ses distances avec elle? [...]
[...] Je dois en effet pouvoir m'interroger sur ma culture et être capable d'une certaine distance à son égard. Par ailleurs, "être cultivé" ne signifie pas être l'homme d'une seule culture, mais être ouvert à la connaissance d'autres cultures. Or c'est justement cette ouverture aux autres cultures qui me permet de pouvoir véritablement juger ma propre culture. En effet, de même que l'introspection permet d'acquérir une grande connaissance de soi à condition d'y associer la médiation du regard d'autrui, de même pour juger une culture, il faut pouvoir la connaître du dedans et du dehors, autrement dit lui appartenir tout en étant capable de la voir d'un point de vue extérieur. [...]
[...] Ainsi, je peux juger la culture à laquelle j'appartiens dans la mesure ou, étant au plus près d'elle, je suis apte à en saisir toute la valeur et toutes les dimensions. Cependant, pour que mon jugement soit véritablement objectif, encore faut-il que je sois capable de vivre cette appartenance à cette culture particulière qu'est ma culture, autrement que comme un conditionnement. En effet, seule l'ouverture à d'autres cultures, laquelle témoigne de la présence en moi de la raison, pourra octroyer une véritable légitimité à mon jugement. [...]
[...] Or ne voir dans les autres que des "sauvages" ou des "barbares", c'est-à-dire des êtres sans culture, témoigne d'une incapacité à juger sa propre culture comme une culture parmi d'autres. Ainsi, appartenir à une culture, au sens plein, c'est s'identifier à elle et être avec elle dans une relation d'adhésion affective. Dès lors, il s'ensuit que si certains individus arrivent à porter un regard critique ou distancié sur leur propre culture, c'est parce qu'ils ne sont plus justement dans une relation de pleine appartenance avec elle. Ainsi, ce qui amène Nietzsche, par exemple, à critiquer la culture allemande, c'est le sentiment d'être plus en affinité avec la culture grecque. [...]
[...] Dans la mesure où toute culture produit un être raisonnable et libre, elle lui offre donc la capacité de la juger tout en lui appartenant. Cette démarche est même ce à quoi tend toute culture. Chaque culture particulière s'inscrit dans le processus global de la Culture, c'est-à-dire de la réalisation pour l'homme de son humanité à travers le développement de ses potentialités. Ainsi, si, d'un côté, chaque culture fournit des références culturelles relatives, de l'autre côté elle conduit aussi un développement en chaque homme de sa faculté de jugement et de réflexion, la raison. [...]
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