Socrate nous a appris que le propre de l'ignorance est d'être aveugle à elle-même : celui qui se trompe croit toujours être dans le vrai. S'il soupçonnait un tant soit peu la présence possible de l'erreur, il nuancerait son affirmation, évitant ainsi de se fourvoyer. L'erreur n'est donc possible que par sa ressemblance avec la vérité, mais si le vrai et le faux ont ainsi la même apparence, comment les distinguera-t-on? Lorsque je crois avoir raison, ne suis-je pas dans l'erreur, puisqu'il m'est déjà arrivé de devoir réviser mes certitudes? L'existence d'une seule erreur rend donc problématique toute affirmation : ne puis-je donc jamais être sûr de ne pas me tromper?
[...] Cependant, son amour ne l'empêche pas de me permettre certaines erreurs. Dira-t-on que ces erreurs me sont imputables à la différence d'une illusion liée à la raison elle-même? Ma responsabilité dans les erreurs que je commets est-elle donc une vérité si évidente? La moindre hésitation dans la réponse à cette question serait fatale : j'aurais tôt fait d'être happé par le grand tourbillon du doute. Sommes- nous donc condamnés à n'être sûrs de rien et à nous fier à une raison dont nous ne pouvons vérifier la valeur? [...]
[...] Cependant, la méthode n'élimine pas tout risque d'erreur. On ne saurait en effet réduire l'exercice de la pensée à l'application pure et simple de règles. Aucun art de penser ne peut rendre superflue l'intelligence de celui qui l'utilise. C'est pourquoi, même si la méthode est bonne, il reste à bien s'en servir. Ainsi, les quatre préceptes précédents sont si généraux qu'ils ne peuvent apprendre à penser à qui ne le saurait pas. Quand y a-t-il évidence? Comment sait-on qu'il est nécessaire de diviser encore le problème? [...]
[...] Qu'il s'agisse donc de connaissances empiriques (touchant le sensible) ou non (concernant l'entendement seul), l'erreur est à chaque fois identique : elle consiste à affirmer ce qu'on ignore. Pour être sûr de ne pas se tromper, il faut donc retenir son jugement tant que les conditions requises pour la certitude ne sont pas réunies. On peut donc être sûr de ne pas se tromper puisque l'erreur, comme la vérité, est un acte de ma volonté. Encore faut-il pour cela prendre les précautions nécessaires. La première est de ne rien affirmer gratuitement mais de justifier chaque idée par une argumentation appropriée. [...]
[...] Or, la vérité n'est possible que si je peux m'assurer d'elle. Que m'importe d'être habité par les plus belles vérités si je ne puis savoir avec certitude qu'elles sont vraies? L'homme doit donc être capable de sortir par lui-même de l'erreur dans laquelle il est tombé. L'éveil à la vérité n'est pas une illumination extérieure, un chemin de Damas : il suit un itinéraire qu'il m'appartient d'emprunter. Si je trouve ainsi en moi la capacité de m'élever vers la vérité à partir de l'erreur, c'est donc que cette dernière ne demeure que par mon concours. [...]
[...] Le philosophe désireux de certitude rejette tout ce en quoi il trouve la moindre raison de douter. C'est ainsi qu'il en vient à envisager la vertigineuse hypothèse d'une raison mensongère. Et si la balance par laquelle nous pesons le vrai et le faux était elle-même détraquée? En effet, nous ignorons qui est l'auteur de notre être, mais il se peut qu'il soit, comme on le dit, un Dieu tout-puissant. Étant tout- puissant, il aura très bien pu me donner une raison trompeuse. [...]
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