Le Temps retrouvé est en effet l'aboutissement, mieux l'accomplissement, de La Recherche du temps perdu, au sens où il en révèle la signification et la raison d'être, en d'autres termes la manière dont il est à lire. Au-delà du truisme, s'agissant du chapitre final de l'oeuvre qu'en effet il termine, ce dernier volume, débouchant sur la découverte des vérités de l'art, est dès lors donné, explicitement, par le narrateur, comme le terme de sa recherche et d'une recherche dont le lien avec la littérature est proclamé (...)
[...] Au demeurant dans ce cas encore la vie et lʼart échangent leurs qualités, car bien quʼil ne tînt sans doute au chef-dʼœuvre florentin que parce quʼil le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Lʼœuvre a dès lors quelque chose de vital puisquʼelle révèle une beauté cachée. Par ailleurs elle est arrachée à lʼimmortalité - qui pour être du côté de lʼabsolu, dʼun idéal transcendant, est, paradoxalement peut-être mais ipso facto, du côté de la mort, car enfin il faut bien mourir, être mort, pour connaître lʼimmortalité ! - en faveur dʼun beau intempestif à la fois hors et dans le temps. [...]
[...] Les deux femmes sont complètement nourries, pénétrées, habitées par une culture totalement intériorisée et quʼelles se refusent, au rebours des snobs, à exhiber, comme un signe extérieur de richesse, de supériorité, de distinction, comme en un mot le marqueur de leur classe, soit la grande bourgeoisie aussi cultivée que riche. Ainsi elles ont les Lettres de Mme de Sévigné pour livre de chevet et apprennent à lʼenfant à lʼaimer, non à la façon des gens de salon, page 2 / 12 mais pour ses vraies beautés. [...]
[...] Et une page plus loin le narrateur, sʼémerveillant de trouver dans les livres de Bergotte des expressions quʼil se reprochait dʼemployer comme insuffisamment littéraires, pleure soudain de joie parce quʼil lui semble soudain que mon humble vie et les royaumes du vrai nʼétaient pas aussi séparés que jʼavais crus. Parallélisme dʼautant plus intéressant quʼil lie une mort, Bergotte, à une résurrection, tout Combray On le voit les métaphores, établissant des correspondances, des transversales, entre des objets apparemment sans rapport, sont en vérité présentes dans la réalité, puisque, dans cet exemple, le même vocable sʼutilise dans le cas des usages sociaux ou des pratiques artistiques. La langue en témoigne, cautionne la légitimité du rapprochement et, ce faisant, le révèle. Du Côté de chez Swann. [...]
[...] p Comme la page sur les asperges dans Du Côté de chez Swann I. p Elles sont, pastiche dʼun Manet, de lʼart passé dans la vie, une scène de la vie domestique devenue poème par le miracle du style et les anneaux dʼun beau style, autrement dit de la vraie vie. En dʼautres termes, de lʼart passé dans la vie et de la vie revenant à lʼart, sous la forme dʼun poème, art vivant en somme. Pareillement la description des aubépines, suscitant la métaphore de chapelles creusées dans leur haie, emprunte au reposoir dʼUn Cœur Simple, pour attester de la puissance vivifiante, printanière, joyeuse et créatrice, suscitée par familiarité avec les chefs-dʼœuvre. [...]
[...] Voilà un exemple parmi dʼautres des intermittences du cœur. La phrase de Proust associe les aléas de lʼamour aux pulsations du temps, entre le passé et le présent, lʼavant et le maintenant, mais aussi entre la vie réelle et la littérature, entre lʼamour pour un auteur et lʼamour pour une femme. Lʼintérêt de la loi des intermittences tient à cela que les deux côtés, la vie et lʼart, ne cessent dʼéchanger leurs qualités et se substituent constamment lʼun à lʼautre, à la façon dont dans un train le narrateur est contraint de courir dʼun côté à lʼautre pour rentoiler le tableau du soleil levant. [...]
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