Produire et créer désignent tous deux l'acte par lequel un être promeut à l'existence une réalité en dehors d'eux, et qui n'existait pas auparavant, ces deux termes semblent donc tous deux relever d'un faire singulier par lequel un être devient la cause efficiente d'un autre. En ce sens, il nous apparaît à premier abord que ces deux termes puissent être saisis comme synonymes, désignant un même acte. Cependant, l'acte de « créer » semble investi d'une valeur positive et supérieure à celle que de l'acte de produire. En effet, produire, désigne avant tout l'acte par lequel un être cause un effet, invariablement. Dans le champ plus étroit dans l'agir humain, il désigne de manière générale l'action de transformation de la nature, soit une activité de mise en forme de la matière guidée par une fin essentiellement utilitaire. Produire induit donc un rapport de moyens à fins, et s'appliquerait de cette manière surtout aux objets techniques, industriels voués à la reproduction. Au contraire, par créer, en entend l'acte par lequel un être promeut à l'existence une réalité telle qu'on ne peut la référencer à aucun modèle préexistant. Créer ce serait donc amener à partir du néant une réalité entièrement nouvelle et non vouée à la reproduction, ce qui induit une valeur supérieure accordée à l'acte et à l'objet crée par rapport à l'objet produit. Créer, c'est donc moins donner naissance à un objet, qu'à une œuvre, unique, immortelle portant la trace du divin ou du génie. On peut alors saisir l'acte de « créer » de deux manières, soit de façon absolue, en tant qu'il désigne alors une création ex nihilo, à partir de rien, et s'oppose ainsi au produire, qui n'est que transformation du déjà donné, soit de façon relative, en tant qu'il est l'acte par lequel on donne le jour à une réalité nouvelle et unique et non soumise au rapport de moyens et fins. De cette manière, produire semble pouvoir désigner un acte causant naturel ou humain, et créer davantage un acte divin ou humain.
Il s'agit de cette manière de saisir lequel de ces deux actes représente le mieux l'acte humain par excellence. L'homme, en effet est-il et doit-il être avant tout un être qui crée ou un être qui produit ? La question implicite ici est alors celle de la valeur accordée à ces deux actes, et du fondement de la distinction, axiologiquement connotée, de produire et créer.
De cette manière, il semble qu'entre créer et produire il y ait une distinction ontologique. En effet, créer désigne l'acte créateur divin, inaccessible aux créatures. De ce fait, l'homme est réduit, en quelque sorte à la production, qui n'est qu'une transformation d'un déjà donné, quand Dieu crée ex nihilo. Produire est donc l'acte d'une créature qui imite l'acte divin. Néanmoins, la création en tant qu'acte de Dieu, ne peut nous être accessible, il faut donc redonner à « créer » une valeur immanente et relative, pour distinguer non plus l'acte humain de l'acte divin, mais les actes humains entre eux. Créer se présente alors comme un acte de production, certes, mais supérieur, ayant plus de valeur que le pur produire. La distinction entre créer et produire est donc surtout une distinction axiologique qui aboutit à la dévalorisation du produire et à la survalorisation d'un acte humain « créateur ». Il nous faut donc revenir sur les présupposés non négligeables qui conduisent à cette distinction axiologiquement connotée, pour redonner aux actes de « produire » et de « créer » leurs véritables visages.
[...] Produire, c'est produire un effet. L'acte proprement humain est donc bien l'acte de créer, et le terme de créer acquiert alors une dimension humaine, qui aboutit à la supériorité du créer sur le produire. En effet, en produisant, la nature donne naissance à des effets, quand l'homme en créant produit des œuvres. De cette façon, Kant, dans la Critique de la faculté de Juger, dans l'« Analytique du sublime 43, distingue les productions considérées en tant qu'œuvres et les produits de la nature considérés en tant qu'effets Le produit de la nature est un acte non réfléchi, qui ne fait pas intervenir la Liberté, faculté qui définit l'Homme lui-même et qui désigne ici, selon Kant un libre arbitre dont les actions ont pour principe la raison. [...]
[...] Or ce critère de distinction semble tout à fait arbitraire et non fondé. En effet, peut-on réellement créer sans faire appel au corps ? Cette critique et cette remise en cause du critère distinctif du produire et du créer, des arts mécaniques et des arts libéraux, peut se comprendre à travers de l'exemple problématique du statut de la peinture. En effet, la peinture a longtemps été considérée comme faisant partie des arts mécaniques, l'artiste peintre étant perçu comme un artisan répondant à une commande, et utilisant son habileté technique, ses mains pour produire. [...]
[...] En effet, il apparaît que l'acte de produire se comprend à la lumière du créer divin. Le produire serait ainsi comme l'image du créer, il fait signe vers l'acte divin, en tant qu'il est imitation de cet acte, et le glorifie. L'homme serait ainsi l'image de Dieu non en tant que reproduction de l'image figurative de Dieu mais en tant qu'il est, justement un producteur. L'homme est cette créature qui imite l'acte créateur par son produire. De cette manière, il y a d'une part une distance ontologique irréductible qui distingue l'acte de créer de celui de produire, mais aussi d'autre part un lien analogique qui permet de comprendre l'un par l'autre. [...]
[...] Produire induit ainsi la répétition. En effet, la nature n'innove pas, par intervention de la Liberté et par le libre cours des facultés à l'œuvre notamment chez l'artiste, la nature répète ses effets, selon un rythme défini. Produire désigne ainsi une action automatique, qui se répète et ne fait pas intervenir la Liberté. La Liberté est ainsi le critère distinctif qui distingue l'acte de créer de l'acte de produire, ce qui induit ainsi la distinction entre acte de la nature et acte humain, et par là même à une valorisation de l'acte de créer. [...]
[...] De cette manière, il semble que la distinction du produire et du créer ne soit plus si évidente, car les critères qui fondaient cette différence sont illégitimes et fautifs. Il faut donc percevoir l'œuvre comme ce qu'elle est en fait : avant tout un objet parmi les autres. La survalorisation de l'œuvre d'art lui provient de statut quasi divin. En effet, les caractéristiques accordées à l'œuvre d'art sont des caractères divins : l'immortalité, l'unicité, un pur objet de pensée et de génie. Or il faut parvenir à démystifier le statut l'œuvre d'art et par là même celui de l'acte humain de créer. [...]
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