diderot, esthétique, individualité, diderotien, esthétique diderotienne
Les oeuvres de Kundera, peut-être plus que celles de tout autre écrivain moderne, témoignent pour nous de la postérité et du retentissement de la doctrine esthétique de Diderot ; même sans aller jusqu'à Jacques et son maître, expression la plus sincère de cette paternité, l'empreinte en est sensible par de nombreux éléments, en l'occurrence celui de l'originalité. En effet, quoi de plus typiquement diderotien que cette idée, selon laquelle la création artistique, pour être réussie, n'a qu'à (re)composer à partir de la Nature elle-même ? Kundera, comme Diderot, récuse la pensée "surprenante", originale comme fondement du Beau dans l'oeuvre d'art, au profit d'une beauté plus intrinsèquement comprise dans la Nature (l'"être"). Mais comment donc, l'individualité de l'artiste, qui n'en est pas moins utile et importante, peut-elle parvenir à s'exprimer, et s'adresser à celle du spectateur, dans le cadre contraignant du système holiste que constitue la Nature ; comment, en somme, être original quand tout dans la création semble devoir être soumis au déterminisme : telle est la question, que suscite l'antagonisme apparent de deux points centraux de la doctrine esthétique diderotienne, à laquelle nous devons tâcher de répondre ici. Nous verrons, dans un premier temps de notre réflexion, en quel sens les exigences de Diderot en terme de naturel et de réalisme de la composition, et leur fondement en une théorie clairement mécaniste de l'expérience esthétique, constituent a priori autant d'obstacles et de contraintes à l'expression d'une idiosyncrasie en art ; ce point étant posé, il nous faudra observer quel crédit et quelle importance Diderot accorde à cette idiosyncrasie de l'artiste - car importance il y a, et à plus forte raison encore, nous le verrons - selon la perspective qu'offre la notion de génie : il nous sera ainsi possible de synthétiser le traitement fait par le philosophe de la question de l'individualité et de l'originalité.
[...] - c'est, du moins, ce que recommande Diderot. L'expérience esthétique agréable naîtra, devant ces compositions, d'une harmonie des stimulations analogue à celle que l'homme ressent directement face à la Nature : l'artiste qui se préoccupe de la beauté de son oeuvre n'aura, en somme, qu'à se préoccuper de son adéquation avec les canons de la beauté déjà inscrits dans la Nature, cosmiques et immanents à la fois. Est-ce à dire pour autant que l'activité de l'artiste ne diffère en rien de celle d'un copiste ? [...]
[...] Mais sans originalité, c'est la possibilité même d'innover qui est perdue ; tant il est douteux - et faux - que Diderot ait prétendu renoncer à cette possibilité, il faut donc bien que celle-ci agisse à un niveau ou à un autre du processus de création artistique. * * * Si Diderot, en effet, pose pour règle l'imitation, justifiée par une genèse du Beau extrait de l'ordre cosmologique de la Nature, il n'exclut en rien la possibilité pour l'artiste d'être original ; même, il l'appelle de ses voeux, quand il la voit entravée par des règles d'un ordre différent, règles de convention - qu'on pourra dire "académiques" qui "[font] de l'art une routine" et, pour "[servir] à l'homme ordinaire, [nuisent] à l'homme de génie"1. [...]
[...] En effet Diderot, en matérialiste convaincu, ne doute pas que le fond de toute expérience esthétique soit essentiellement corporel : la notion du Beau pourrait être ramenée, en dernière instance, à l'harmonie dans la stimulation de diverses "fibres" du corps ; première conséquence : conformément à l'étymologie première du terme esthétique, le Beau serait donc avant tout affaire de sensation, voire de sensualité, et non pas d'intellect. Il y aurait, concrètement, dans la Nature des rapports - il est loisible de penser ici en termes de proportions géométriques, encore que les couleurs, les textures doivent avoir leur importance - qui stimulent nos fibres corporelles de telle sorte qu'il s'en dégage une harmonie agréable aux sens : c'est ni plus ni moins que cette harmonie que l'homme désigne, après coup, comme la beauté, le Beau. [...]
[...] Quelle conséquence pour l'esthétique au sens restreint, c'est-à-dire pour l'étude de l'activité artistique de l'homme, dans la doctrine diderotienne ? Si le Beau est essentiellement défini par un ressenti corporel face au spectacle cosmologiquement ordonné des rapports dans la Nature, il semble qu'aucune action originale de l'homme ne soit capable d'ajouter quoi que ce soit d'utile ou d'intéressant à ce Beau : aucune action de l'homme n'étant capable d'influencer durablement et positivement un ordre déjà parfait et, de toute façon, immuable. [...]
[...] En effet, quoi de plus typiquement diderotien que cette idée, selon laquelle la création artistique, pour être réussie, n'a qu'à (re)composer à partir de la Nature elle-même ? Kundera, comme Diderot, récuse la pensée "surprenante", originale comme fondement du Beau dans l'oeuvre d'art, au profit d'une beauté plus intrinsèquement comprise dans la Nature (l'"être"). Mais comment donc, l'individualité de l'artiste, qui n'en est pas moins utile et importante, peut-elle parvenir à s'exprimer, et s'adresser à celle du spectateur, dans le cadre contraignant du système holiste que constitue la Nature ; comment, en somme, être original quand tout dans la création semble devoir être soumis au déterminisme : telle est la question, que suscite l'antagonisme apparent de deux points centraux de la doctrine esthétique diderotienne, à laquelle nous devons tâcher de répondre ici. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture