Le point de départ est une double mise en garde : contre les illusions de la conscience, d'une part, contre les discours moralisateurs des philosophes, d'autre part. Mais les deux sont liées.
Les philosophes ne partent pas d'une analyse objective des hommes tels qu'ils sont, mais tels qu'ils doivent être. Or ce devoir être est obtenu par définition d'un modèle général abstrait qui ne correspond à rien de réel. Il donne donc lieu à un discours normatif, moralisateur et triste qui vise à culpabiliser plus qu'à réformer.
Son présupposé tient à la thèse du libre arbitre : si les hommes font ce qu'ils font, c'est par décision de leur volonté, laquelle est définie comme pouvoir de décider par soi-même, indépendamment des conditions dans lesquelles on se trouve. Ce présupposé a son origine dans la conscience commune, et provient de ce que nous agissons dans l'ignorance des causes qui nous déterminent, de ce que nous croyons agir en vue d'une fin. La même ignorance nous conduit à penser que dans la Nature toutes les choses font de même.
De là nous sommes conduits à imaginer qu'il existe des choses qui sont bonnes pour nous, faites pour nous, et que c'est pour cela que nous les désirons. Donc à croire qu'il existe des valeurs objectives, et un pouvoir transcendant ayant ajusté ces valeurs à notre constitution : un dieu, rector naturae qui a fait le monde pour nous et nous pour lui rendre gloire.
Cet édifice imaginaire est celui de la morale, et apparaît comme mode d'assujettissement.
[...] (Ethique V Scolie de la proposition 10). REMARQUE On peut se demander ce qui engage un individu singulier dans la voie d'une telle réflexion sur soi, le conduisant à cette éthique de la vérité. La notion de réflexion qui est essentielle au raisonnement suggère qu'il faut faire intervenir un principe qui vient supplémenter, qui vient comme en excès sur la simple persévérance dans l'existence. C'est la raison pour laquelle A. Badiou a recours au thème de l'événement comme rupture dans l'ordinaire de l'existence, prescrivant une fidélité nécessaire pour m'efforcer à produire le maximum d'effets enveloppés par l'événement qui me sollicite. [...]
[...] Il n'a pas pu s'empêcher de vouloir se libérer de cette emprise, tout en restant dans la logique de la domination : en transgressant ce qu'il prenait pour un interdit. La connaissance est donc la condition du devenir libre. Non pas simplement connaissance de la Nature en général, qui reste trop abstraite, mais connaissance singulière de ce que je suis moi, résultat d'une histoire singulière, dans une situation particulière. Aucune fin extérieure ne peut donc nous satisfaire, mais seulement la claire connaissance de nous-mêmes comme étant inclus dans la Nature. [...]
[...] D'où la thèse : le désir est l'essence de l'homme en tant qu'on le considère comme déterminé à faire quelque chose par une quelconque affection de lui-même. Lorsque le corps est affecté par un autre corps qui augmente sa puissance, cela s'exprime dans l'esprit sous la forme d'un sentiment de joie ; à l'inverse, d'un sentiment de tristesse. Trois affects primaires peuvent donc rendre compte des conduites humaines : le désir ,la joie et la tristesse. Les hasards des rencontres font les réussites et les échecs, et l'oscillation de l'esprit entre espoir et crainte. [...]
[...] On peut ajouter qu'une telle position me conduit à comprendre la nécessité de m'associer avec mes semblables, donc m'amène à éviter toute conduite de haine à leur endroit. Il s'ensuit aussi qu'elle a pour condition l'existence d'une République organisée suivant les principes de la raison, préservant la liberté de pensée. En conséquence, on peut envisager des commandements moraux qui, sans réaliser effectivement la liberté intellectuelle telle qu'on vient de la caractériser, assurent une conduite raisonnable. Tels sont les préceptes du credo du chapitre 14 du T.T.P., qui se ramènent à l'amour du prochain, c'est-à-dire à la prescription de justice et de charité. [...]
[...] Livrés à la seule logique du désir les hommes sont donc contraints d'osciller de l'assurance dominatrice du jouisseur, à l'angoisse pusillanime du superstitieux, vite retournée en vindicte guerrière du fanatique. Instabilité douloureuse de la vie passionnelle. La capacité de la pensée à réfléchir, à se prendre elle-même comme objet, engage l'individu à comprendre le mécanisme de ses affects, afin de se déprendre autant qu'il le peut de cette passivité douloureuse. La connaissance est par elle-même joyeuse, augmentant la puissance d'agir. Elle est donc condition de la liberté. Or la réflexion sur ce qu'est le désir apprend qu'aucun objet ne lui est prédestiné. [...]
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