La question est équivoque du fait de la position de la négation : en se questionnant, on peut en effet se demander : (1) Pouvons-nous désirer ne pas être heureux ? Alors on questionne la possibilité du désir positif du malheur. (2) Pouvons-nous ne pas désirer être heureux ? Alors on questionne négativement le bonheur, ce qui ne revient pas au malheur positif mais seulement à l'indifférence possible du désir face au bonheur. Il s'agira donc de questionner le rapport entre le désir et le bonheur.
A première vue, le désir est simplement spontané (conscient ou non) et dirigé vers une fin. C'est donc une intention, une tendance à quelque chose. Quand je désire du chocolat, j'éprouve un manque que je veux combler, précisément en mangeant du chocolat. Quant au bonheur, c'est un état de satisfaction complète, la sérénité de n'éprouver aucun manque. On voit bien le rapport entre les deux par la notion de manque : en désirant le bonheur, on comble nécessairement le manque que l'on éprouve quand on désire. Cependant, l'exemple du chocolat nous montre que le désir se donne souvent et même tout le temps un objet plus particulier que la recherche du bonheur. Le désir semble ainsi avoir un lien plus direct avec le plaisir. Pourtant, on ne peut pas simplement rejeter la possibilité de désirer être heureux puisque la question met en avant le pronom « que » qui signifie ici « seulement » et donc suppose que, de fait, il est possible de désirer être heureux.
Le rapport entre désir et bonheur n'est-il pas plus complexe qu'un simple désir du bonheur ou désir d'autre chose que le bonheur ? Notre réflexion sera composée de trois moments : (1) D'abord comment mettre en rapport le plaisir spontané et le bonheur pour sauver l'idée de pouvoir désirer être heureux ? (2) ensuite cette spontanéité (manque de réflexion) du désir et du plaisir ne conduit-elle pas au contraire à des souffrances, c'est-à-dire à désirer (inconsciemment) être malheureux ? (3) Enfin, en introduisant la réflexion et la conscience de ce qu'est un désir, le désir permet-il, en prenant du recul, de conduire au bonheur ?
[...] ensuite cette spontanéité (manque de réflexion) du désir et du plaisir ne conduit-elle pas au contraire à des souffrances, c'est-à-dire à désirer (inconsciemment) être malheureux ? Enfin, en introduisant la réflexion et la conscience de ce qu'est un désir, le désir permet-il, en prenant du recul, de conduire au bonheur ? Le lien entre le plaisir et le bonheur Thèse : le désir comme recherche spontanée des plaisirs est toujours un désir d'être heureux. Est-ce à dire que le bonheur se limite aux plaisirs ? Nous nous appuierons sur les §§127-129 de la Lettre à Ménécée d'Epicure pour dévoiler le lien entre plaisir et bonheur. [...]
[...] On répond ainsi qu'il est anthropologiquement impossible de désirer être malheureux. Et Epicure explique bien au 129 que le rejet de certains plaisirs est dû à la plus grande souffrance qui s'ensuit et non à ces plaisirs en eux-mêmes. Mais quand il prône de choisir seulement les désirs nécessaires, on est tenté de dire qu'il se limite aux besoins qu'il considère comme une sous-classe du désir sans distinguer une différence essentielle entre les désirs et les besoins. On peut en effet considérer que cette définition du désir qui intègre les besoins est trop large car, à proprement parler, personne ne désire ce dont on a simplement besoin : on ne désir pas manger équilibré pour avoir un corps et un esprit sains mais on désire, par exemple manger du chocolat, c'est-à-dire combler un vide injustifié car contingent (on pourrait combler nos besoins avec autre chose que du chocolat, mais c'est justement du chocolat qu'on désire). [...]
[...] Reste alors la question de l'action du désir en lui-même. En effet, désirer être heureux comme le demande le sujet et plus généralement désirer quelque chose c'est d'abord considérer le désir indépendamment de la volonté et de toute intervention extérieure. On remarque d'abord que les tentatives d'Epicure et d'Epictète ne se placent pas du point de vue du désir uniquement ; ensuite, de ce point de vue, on en arrive à une aporie insurmontable sans cette intervention extérieure : le désir est nécessairement désir d'être heureux mais il est incapable de conduire au bonheur. [...]
[...] Ce qui ne dépend pas de nous est l'objet du désir (les choses extérieures). Et Epictète de conclure : il vaut mieux supprimer les désirs car en faisant comme si on pouvait contrôler ce qui ne dépend pas de nous, on devient malheureux. Les troubles ne viennent donc pas des choses mais des jugements sur les choses. Or, le jugement, tout comme le désir, dépend de nous et est trompé par le désir : l'âme éprouve de la souffrance et est tiraillée par ce désir qui n'aboutira jamais du fait que son objet ne dépend pas de nous. [...]
[...] Si nous réinterprétons ce désir dans l'anthropologie épicurienne, nous voyons qu'au contraire ils désiraient être heureux. En effet, étant fous amoureux l'un de l'autre, ils ne pouvaient se résoudre à la haine de leurs familles. Le dilemme était qu'en ne se fréquentant pas, ils éprouvaient une souffrance ; mais en se fréquentant, ils souffraient de la colère de leurs familles respectives. Alors ils agirent en conséquence : ils décidèrent de se marier pour éprouver le plaisir et le bonheur d'être ensemble ; en espérant que cette union calmerait la haine des deux familles et permettrait ainsi le bonheur qu'ils recherchent. [...]
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