Le pouvoir technique est-il sans limites ?

Résumé du document

Le sujet pose la question de l'existence des limites au pouvoir technique et présuppose son existence.
La technique est opposée à l'art ou techné en ce sens qu'elle exploite et rend disponible toute la nature, alors que la techné consiste à « rentrer en connivence avec la nature », comme l'écrit Alain Finkielkraut dans Philosophie et modernité, dans le chapitre VI sur Heidegger et la question de la technique.

Nous posons ce sujet du point de vue de l'homme, qui est l'utilisateur de la technique. Le pouvoir technique est ainsi le pouvoir d'un instrument, et comme tout pouvoir, il est synonyme de puissance de domination qui peut être juste moralement, ou ne pas l'être.
Nous pouvons donner deux sens au terme « limite », le sens premier est celui de frontière, de ligne marquant une séparation. Le second est mathématique, c'est celui d'un point, d'une valeur dont on s'approche, que l'on essaie d'atteindre.

Extraits

[...] Le blé demandera moins d'eau, il poussera plus vite, mais il sera toujours un épi de blé. Même si le pouvoir technique, supporté par la science, peut s'insinuer jusqu'aux tréfonds des corps, il ne peut dépasser le matériel et changer la chose en soi. Il n'est pas dit ici que la chose en soi existe, puisque nous ne pouvons par définition la démontrer, mais si elle existe, alors elle résiste au pouvoir technique. Lorsqu'on observe le progrès technique, on se rend compte qu'il tend à dépasser cette limite, la science ayant rejoint la technique, celle-ci peut exercer son pouvoir sur des choses de plus en plus petites, comme si elle voulait atteindre le monde des noumènes. [...]

[...] Le pouvoir technique peut se retourner contre nous parce que les conséquences de son application nous dépassent. Nous avons déjà donné l'exemple de la bombe nucléaire, d'autres sont tout aussi parlants. La technique change complètement notre manière de fonctionner, à tel point qu'elle peut modifier des sociétés entières. Alfred Métraux, dans la Révolution de la hache montre comment l'introduction de la technique de la hache métallique a changé toute une société aborigène du nord de l'Australie. Avant, les vieux aborigènes étaient respectaient parce qu'ils détenaient un savoir qui permettait la coupe des arbres, et après, comme ils ne pouvaient portaient ces nouvelles haches trop lourdes, ils ont perdu leur prestige aux dépens des jeunes plus vigoureux. [...]

[...] Ainsi, le pouvoir technique est neutre parce qu'il est amoral, parce qu'il n'a pas de volonté. C'est celui qui l'utilise qui doit être jugé. Cela est montré. Mais un nouveau problème apparaît. La bombe nucléaire, de type A ou est une technique enfantée par la science qui est neutre. Les milliers de victimes japonaises de l'été 1945 ne sont pas des victimes du pouvoir technique, mais des victimes de la guerre des hommes. Mais quand est-il de toutes les conséquences indirectes qu'a eues cette invention technique sur l'homme ? [...]

[...] Ce qui rejoint la thèse de Marx, qui fait du pouvoir technique une puissance d'aliénation des hommes. Aliénation qui se fait par l'objectivisation du monde par le pouvoir technique qui applique sans distinction son fonctionnement rationnel. Le pouvoir technique peut faire du monde sensible un monde désincarné, un monde matériel dans lequel tout est vu selon un angle rationnel et où il n'y a plus de place pour la sensibilité ou pour la morale. Heidegger résumait cette tendance à faire un Nouveau Monde chosifié par la notion de Gestell, ou d'arraisonnement. [...]

[...] Nous avons vu dans cette partie que le pouvoir technique ne connaît pas de limite physique dans le monde des phénomènes. De plus, sa neutralité le laisse libre de toute limite morale, tout en l'écartant de l'être sensible de l'homme. À partir de cela, nous nous demandons si cette neutralité limite le pouvoir technique à son rôle d'outil, ou si elle lui permet de se retourner contre l'homme pour y exercer son pouvoir. Dans cette troisième et dernière partie, nous faisons encore une fois abstraction du monde des noumènes, faisant du monde des phénomènes le seul existant. [...]