La notion de possible se prend en trois acceptions principales : est possible, en premier lieu, ce qui n'est pas mais qui pourrait être. En ce sens, le possible s'oppose au réel, si l'on entend par "réel " cela même qui est donné dans une expérience et qui n'est pas seulement à l'état imaginaire, contrairement au fictif, au virtuel, au projet, voire à l'éventualité. L'impossible désigne alors soit ce qui, par nature, ne saurait être promu au rang de réalité, soit ce qui s'avère irréel momentanément ou provisoirement. Le possible signifie également ce dont l'existence n'implique pas contradiction et s'apparente ainsi à l'essence et à la définition, par distinction d'avec le contingent. Le possible, enfin, caractérise ce qui ne contredit pas les lois de la nature, différent en cela du miracle, par exemple.
Ces significations nous orientent vers une triple problématique ontologique (le rapport entre le possible et le réel, l'essence et l'existence), épistémologique (la question de la représentation et de la connaissance) et pratique (la question morale du permis et celle, technique, du réalisable). En effet, l'idée de possible, qui s'offre dans un nombre considérable d'expressions témoignant de son extraordinaire polyvalence, recoupe à la fois ce qui est concevable ou représentable et, sur un plan pratique, ce qui est autorisé et susceptible de réalisation. On peut envisager le possible comme une réalité en puissance, le réel possédant alors une prééminence par rapport au possible qui désigne un non être. Dans une perspective inverse, le possible prévaut sur le réel qui n'en est qu'un réarrangement, de sorte que du réel sont exclus le hasard et la contingence. Mais le possible peut incarner la dimension du projet libre, de l'avenir, de l'action, plutôt qu'un déploiement de ce qui existe déjà. Le possible : un non être, une moindre réalité ou bien ce qui excède la réalité, la révèle, voire l'accomplit ? Le possible ne désigne-t-il pas une " création continue d'imprévisible nouveauté " (Bergson,La pensée et le mouvant) et, à ce titre, une dimension fondamentale de l'action et de la liberté ?
[...] Prenons l'exemple de la création géniale qui est véritablement donatrice d'être et qui fait émerger, en aval pour ainsi dire, la catégorie du possible : " Qu'un homme de talent ou de génie surgisse, qu'il crée une oeuvre : la voilà réelle et par là même elle devient rétrospectivement ou rétroactivement possible. Elle ne le serait pas, elle ne l'aurait pas été, si cet homme n'avait pas surgi " (ibid.). La réalisation ajoute nécessairement quelque chose à la simple possibilité dans un processus de continuité créatrice et non de rupture radicale. Que désigne alors le possible ? " L'effet combiné de la réalité une fois apparue et d'un dispositif qui la rejette en arrière " (ibid.). [...]
[...] D'où l'idée que le possible est moins que le réel et que la possibilité des choses précède leur existence. La notion de possible est sous-tendue par l'idée que les choses seraient représentables par avance, qu'elles pourraient être pensées avant d'être réalisées, comme on le voit avec le déterminisme, conception qui tend à réduire la singularité de l'événement, qui enclôt l'originalité du présent dans un passé matriciel, le nouveau n'étant finalement qu'un " réarrangement d'éléments anciens " (ibid). Or, selon Bergson, il y en réalité, plus dans la " possibilité des états successifs que dans leur réalité " (ibid.). [...]
[...] En somme, le possible est la catégorie de l'action libre et du choix. Eclairant est, à cet égard, le modèle probabiliste qui semble plus approprié à une conception dynamique du possible que la conception déterministe. La prévision probabiliste porte, en effet, sur un possible, elle ne fait qu'anticiper conceptuellement, sous la forme d'une mathématisation, un événement. La prévision concerne la probabilité d'un événement futur, c'est-à-dire le rapport du nombre d'occurrences effectives au nombre d'occurrences possibles. Au sens épistémologique, la probabilité s'oppose à la certitude, à la possibilité de connaître intégralement le réel dans sa complexité, ainsi que les conditions de réalisation de l'événement. [...]
[...] L'ensemble du réel est ainsi envisagé comme un système de causes et d'effets nécessaires, y compris les faits qui paraissent de façon illusoire relever de la liberté ou de la volonté. Dans l'autre cas, celui du possible ultérieur, ce dernier excède le réel, le révèle, le déploie, voire l'enrichit. Ici le champ du possible dépasse infiniment celui du réel. A l'inverse de la démarche déterministe, le possible est envisagé comme la dimension du temps créateur, ouvert sur l'avenir. Le présent n'est plus façonné par un passé donateur d'être et de signification, il possède une richesse et une spécificité irréductibles qui autorisent l'innovation et le projet libre. [...]
[...] Outre une fonction heuristique, la notion de possible ne possède-t-elle pas une valeur pratique ? Nous avons vu jusqu'à présent se dessiner deux acceptions principales de l'idée de possible qui situent ce concept dans une perspective ontologique et épistémologique : le possible comme puissance d'être, virtualité, matrice du réel (optique créationniste, problématique du sujet et de l'objet, de l'essence et de l'existence); le possible également comme ce dont l'existence n'implique pas contradiction (optique logique ou épistémologique, problématique de la connaissance et de la représentation). [...]
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